La nouvelle directive des services de paiements (DSP2) sera effective en janvier 2018. Toutes les marketplaces seront concernées mais certaines ont pris du retard dans leur mise en conformité. Quelles solutions privilégier pour respecter la réglementation ? Guillaume Princen, directeur général de Stripe en France et en Europe du sud, fait le point sur les options à privilégier.
La croissance des places de marché ("marketplaces") a été fulgurante au cours des dernières années. Économie à la demande, du partage, crowdfunding... plus d’un tiers des startups françaises qui ont levé des fonds au cours des trois dernières années reposent aujourd’hui sur ce modèle économique qui transforme la façon même de vendre et d’acheter en ligne. Selon une étude menée par l’e-commerce Foundation et la Nyenrode Business University, plus de 40% du marché e-commerce mondial passera par des marketplaces en 2020.
Aujourd’hui strictement encadrées, notamment en matière de gestion des flux financiers par l’ACPR, la réglementation applicable aux marketplaces européennes sera considérablement renforcée par l’application de la nouvelle Directive des Services de Paiements (DSP2), en janvier 2018. À deux mois seulement de l’échéance, Stripe a rédigé un guide pour sensibiliser les entreprises françaises et les accompagner dans leurs démarches de mise en conformité.
Marketplaces : une activité déjà hautement régulée en France
Les marketplaces font aujourd’hui face à des obligations réglementaires et techniques plus complexes que les e-commerçants classiques, notamment en matière de vérification d'identité (l’utilisation du "KYC" – Know Your Customer – pour les vendeurs notamment) ou de manipulation des fonds.
La conformité à la réglementation en matière de vérification d’identité (des marchands notamment) - renforcée au niveau européen en 2016 par la directive anti-blanchiment AML4 - est évidemment nécessaire mais s’avère coûteuse : le recours à un avocat est quasiment indispensable pour comprendre les obligations réglementaires dans chaque marché, et une équipe dédiée à la vérification des pièces d’identité (carte d’identité, permis de conduire…) est généralement nécessaire. Elle représente également un important challenge technique car ces nouvelles obligations doivent s’intégrer à l’expérience utilisateur sans la complexifier. Comment en effet encourager des marchands ou fournisseurs de services à utiliser un service supposé simplifier leurs ventes… en leur demandant de remplir un long formulaire avant même leur première transaction ?
En matière de manipulation des fonds, les obligations sont déjà strictes en France, où l’ACPR veille au respect des règles interdisant notamment l’encaissement pour compte de tiers : une marketplace n’a ainsi pas le droit d'encaisser les fonds dus à un marchand sur son propre compte bancaire, à moins qu'elle ne bénéficie d'un agrément explicite.
Si ces obligations sont aujourd’hui claires en France, elles ne sont pas toujours respectées par de nombreuses startups qui négligent leurs obligations et se mettent dans une situation illégale et particulièrement risquée pour leurs clients et partenaires. Et pour celles qui ont conscience de la réglementation, se mettre en conformité relève souvent du casse tête juridique, notamment à cause du manque d’harmonisation entre les différents marchés européens en la matière.
Qu’est-ce qui va changer le 13 janvier 2018 ?
A partir de janvier, l’application de la DSP2 va entraîner une évolution des politiques de conformité, voire des modèles d’activité des marketplaces, dans tous les marchés de l’UE. La directive permettra notamment de renforcer la protection des consommateurs, de lutter contre la fraude, et de moderniser la manière dont sont gérées les entreprises, notamment en ligne, et les régulateurs européens vont notamment augmenter leur niveau de contrôle pour faire entrer dans le rang ceux qui, jusque-là, espéraient échapper aux règles.
Pour se mettre en conformité, les marketplaces françaises pourront notamment opter pour l’une de ces 5 options en matière de paiements et de manipulation des fonds :
Solliciter une licence pour devenir prestataire de paiements. Elle présente un coût non-négligeable à l’entrée : la refonte des processus internes peut s’avérer très coûteuse et le respect des réglementations conçues pour les établissements bancaires nécessite d’investir en continu dans des procédures d’audit et de certification, ainsi que des équipes dédiées, notamment juridiques. Choisir cette voie consiste en fait à mobiliser du temps, de l’argent et des ressources considérables pour créer et maintenir une infrastructure de paiement. C’est sans doute une option que la plupart des entreprises en ligne jugeront trop lourde.
Demander une exemption à l’ACPR (l’autorité de régulation française). Cette option est réservée aux marketplaces qui n’ont qu’un réseau limité de vendeurs ou n’offrent qu’un éventail restreint de biens/services. Pour l’obtenir, elles doivent remplir un dossier auprès de l’ACPR, contenant, au-delà des informations de base (présentation claire de la société, de ses moyens humains et organisationnels, etc.), une démonstration selon laquelle leurs futurs développements seront toujours en accord avec le critère justifiant la demande d’exemption. En clair : elles doivent démontrer qu’elles resteront sur un marché de niche, tout en maîtrisant les risques (sécurisation des flux financiers, des données sensibles, des moyens matériels et humains)… et qu’elles n’exerceront leur activité que sur le territoire français (l’exemption n’étant pas transférable dans un autre marché). Compte tenu de l’internationalisation galopante des entreprises françaises (98% des startups ont déjà des clients à l’international en année 1), cette solution ne convient donc pas aux startups ayant vocation à se développer à l'international.
S’enregistrer comme mandataire d’un prestataire de services de paiement agréé (PSP). Ce modèle, souvent appelé “modèle agent” est relativement populaire en France. Dans les faits pourtant, ce statut présente des contraintes. D’une part, les PSPs se montrent très sélectifs sur le nombre et le profil des mandataires qu’ils sélectionnent (quid donc des startups dont les activités sont encore immatures ou même des marketplaces qui comptent des centaines de marchands ou de travailleurs indépendants ?). D’autre part, ce modèle reste pour le moment une spécificité française et rien ne dit qu’il s’exportera au-delà de nos frontières. Cette option n’est donc pas adaptée aux entreprises en forte croissance, ou qui proposent leurs services à l’international.
Recourir aux e-Wallets (porte-monnaies électroniques). Cette solution semble pratique de prime abord pour transférer de l’argent entre particuliers, mais elle présente de nombreuses contraintes pour la vente de produits ou de services. Par ailleurs, l’expérience utilisateur est loin d’être optimale pour les marchands d’une plateforme car ils doivent - avant même de lancer leur activité – créer un e-Wallet, puis effectuer des vérifications d’identité dès lors que leur chiffre d’affaires dépasse 250€. Cela freine donc l’enregistrement de nouveaux marchands et rend l’internationalisation des plateformes plus complexe, notamment car les règles et seuils de vérification d’identité différent de pays en pays.
Intégrer une plateforme de paiements par API. Quelques solutions existent sur le marché pour simplifier la vie des marketplaces, à l'instar de Connect, une technologie développée par Stripe et lancée en France en juin 2017 pour régler les problématiques financières et règlementaires des marketplaces. Cette solution a été adoptée par de nombreuses marketplaces (Asos, ManoMano, Drivy, Side…) et permet notamment aux fonds d’être répartis entre les différentes parties prenantes d’une transaction, sans jamais être possédés ni contrôlés par les marketplaces. Elle permet également d’automatiser l’ensemble des problématiques de vérifications d’identité (KYC), en conformité avec les contraintes réglementaires locales de chaque marché. Les marketplaces n’ont donc pas à se soucier des coûts liés au respect de la réglementation, à l’obtention d’une licence de prestataire de paiement ou d’une exemption. Et se lancer sur un nouveau marché ne nécessite aucun développement supplémentaire, ni analyse juridique, simplement une ligne de code supplémentaire.
À deux mois de l’échéance, il est encore temps d’agir et de se mettre en conformité. Et s’il est important pour chaque plateforme d’évaluer le coût et l’opportunité de chaque option, il est indispensable d’anticiper l’évolution naturelle de son entreprise, notamment dans sa stratégie d’expansion internationale. L’enjeu est loin d’être anecdotique. La DSP2 a vocation à devenir la pierre angulaire des paiements en Europe et va conditionner la manière dont les entreprises vont opérer sur le sol européen dans les décennies à venir.