Eytan Messika, cofondateur du courrier international de la tech Tech Crush, et à l’origine d’un dossier complet de compilation de ressources sur l’intelligence artificielle en France, et en français, revient dans une lettre ouverte sur un secteur qui peine encore à trouver sa place dans l'hexagone : l'intelligence artificielle.
Il y a plusieurs mois, j'écrivais que la France ne devait pas avoir honte de son retard en terme d'intelligence artificielle. Mais je me trompais. Aujourd'hui après 4 mois de recherches intensives sur l'écosystème français, j'insiste sur le fait que la France doit être fière de son avance en terme d'IA.
Je fais ici la distinction entre la recherche et le reste. À mon sens, le "retard" énoncé dans beaucoup d'articles émane du reste. Le reste étant essentiellement porté par l'infrastructure écosystémique mise en place par les gouvernements et entités privées (financements et investissements), par les startups (industrialisation des produits et internationalisation) et par chacun d'entre nous (culture du risque). Ce pays a une avance en terme d'IA, car un produit d'IA provient d'abord d'une idée et d'une expertise. C'est pourquoi les plus grandes startups sont pour la plupart des spinoffs de centres de R&D. Les autres pays l'ont compris, c'est aussi pourquoi il existe plus de centres de R&D étrangers (au niveau corporate) implantés en France, que de centres locaux. La France est en avance. La France possède un vivier de talents et une excellence académique sur lesquels il faut capitaliser. C'est la raison pour laquelle je répète que la France est en avance plutôt qu'en retard. Je nuance l'adage de Balzac qui stipule qu'un homme est fort quand il avoue ses faiblesses. Je pense au contraire qu'un homme est fort, quand il avoue ses forces et connait ses faiblesses.
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Mais un pays avec autant de médailles Fields (12/55), autant de chercheurs, une formation à la pointe, des ingénieurs parmi les plus talentueux qui soient etc.. doit se décloisonner et apprendre à industrialiser les idées qui sortent de ses labos. Pour cela, il faut bien évidemment augmenter les fonds publics, mais surtout : penser end-user et finalité (use case) lorsque les objectifs de recherche sont fixés. Steve Jobs disait d'ailleurs dans une interview en 1997: "You’ve got to start with the customer experience and work backwards to the technology". Nous devons adapter notre mode de pensée. Penser pivot plutôt qu'échec. Penser risque plutôt que confort.
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Il est vrai que tant qu'il existera dans nos têtes des questions sur les problématiques éthiques de l'IA, sur la protection de nos données privées, des questions sur la responsabilité des machines autonomes, des craintes sur la robotisation de nos métiers et surtout qu'il existera des régulations claires du pouvoir public, nous ferons trois pas en arrières pour chaque pas en avant. Je ne dis pas que ces questions ne doivent pas être étudiées, je dis simplement qu'il faut y répondre et ne plus les éluder. À faire la politique de l'autruche indéfiniment, nous deviendrons ce que nous craignons. Une France intelligente mais "artificielle", une France intelligente mais ephémère. Parce que la mondialisation n'attend personne. Aujourd'hui, vos objets du quotidien, vos applications, vos smartphones, tablettes et ordinateurs proviennent en très grande partie de fournisseurs américains. Que vous le vouliez ou non, cette révolution est là. Alors prenons la tête du peloton.
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Changeons notre mentalité. Il a quelques temps, Emmanuel Macron stipulait lors de l'inauguration de Station F qu"Entrepreneur is the new France". Entrepreneur n'est pas un métier, c'est un état d'esprit. Alors ne soyons pas uniquement les inventeurs d'idées, mais soyons également les producteurs, les distributeurs et les investisseurs: soyons les entrepreneurs de l'IA.