6/6 - De l’intelligence artificielle à la cybersécurité, les deep tech envahissent notre quotidien. Cédric Favier, venture investor chez Seventure Partners, analyse comment ce secteur se structure.
Avec une forte culture scientifique et ses nombreuses écoles et universités mondialement réputées, l’Europe dispose d’une recherche d’excellence. Le génie créatif de la France en a fait l’un des pays les plus innovants au monde (troisième pays du top 100 selon Clarivate Analytics). La baisse des budgets R&D aux États-Unis devrait même permettre de conforter cet avantage durablement. Toutefois, selon VentureBeat, seulement 5% des startups européennes sont des spinoffs issues du monde académique, ce qui est bien éloigné des performances outre-Atlantique. En France, le Réseau C.U.R.I.E recense entre 200 et 300 spinoffs académiques chaque année. Toutefois, la plupart d'entre elles deviendront de belles PME innovantes mais ne connaitront pas l’hyper-croissance d'une startup.
Cependant, les grandes écoles et les universités jouent un rôle majeur dans la recherche appliquée dans le domaine des deep tech. En France, tout comme les grands groupes, les grandes écoles et universités commencent à s’impliquer activement dans l’écosystème des startups. A l’image de Yann LeCun (PhD de l’UPMC) pionnier de l’IA et directeur de Facebook AI Research, nos chercheurs excellent dans la recherche de pointe sur les deep tech. En France, nous avons d’excellents chercheurs serial entrepreneurs et des personnalités de premier plan comme Cédric Villani qui soutiennent activement la communauté deep tech. Beaucoup de chercheurs s’impliquent également tous les jours auprès des startups en tant que conseillers et ils contribuent activement à leur réussite. Mais ils ne sont encore qu’une petite minorité.
Le transfert technologique en question
En transfert technologique académique, il est vrai que le "licensing" est souvent préféré à la création de spinoffs. La France a d’ailleurs redécouvert ce modèle il y a quelques années en instaurant les Sociétés d'Accélération du Transfert de Technologies (SATT). Cette activité existe depuis plusieurs dizaines d’années dans les pays anglo-saxons et a généré des résultats mitigés. Seuls quelques "Technology Transfer Offices" (à Cambridge et Standford, par exemple) génèrent des résultats à peine positifs avec notamment beaucoup de petites licences octroyées principalement à des entreprises matures. Pour que ce modèle soit vraiment efficace, les universités devraient s’inspirer par exemple de Waterloo-Kitchener (la "Silicon Valley du Nord", près de Toronto) qui n’impose plus aucune contrainte à ses chercheurs et étudiants qui peuvent donc exploiter librement leurs résultats. Les nombreuses spinoffs à succès issues de ce modèle ont réalisé des réinvestissements massifs dans les différents laboratoires.
Si les chercheurs de la Silicon Valley sont valorisés selon les montants levées en capital risque et au nombre de brevets déposés, les chercheurs européens sont encore principalement évalués selon leur nombre de publications. Je ne vais pas rentrer dans le débat recherche fondamentale vs recherche appliquée car, on ne parle bien ici que de recherche appliquée. Il est compréhensible, pour un chercheur qui veut pérenniser son laboratoire, qu’il soit moins risqué de s’engager avec un grand groupe et de s’impliquer dans les consortiums R&D juteux (évoqués dans un précédent article de la série), que d’initier une relation avec une startup à l’avenir incertain. Toutefois, les académiques et les gouvernements devraient encourager avec des moyens spéciaux les chercheurs qui souhaitent prendre des risques et collaborer avec des startups.
L'innovation linéaire peu pertinente
Si l’innovation linéaire s’avère particulièrement efficace dans les technologies high tech (sciences de la vie ou semi-conducteurs, par exemple), c’est moins le cas dans les deep tech. En effet, le modèle de transfert de la science appliquée en technologie puis en succès commercial est beaucoup moins évident. Une savante alchimie entre la compréhension des besoins du marché et la proposition de valeur à développer est nécessaire. Les entrepreneurs, les ingénieurs et les chercheurs ont tout intérêt à travailler ensemble pour créer les Google et Tesla de demain. Cela représente un challenge en Europe car la recherche académique est encore très frileuse à l’égard du transfert technologique vers le monde économique.
L’initiative France IA a publié récemment des recommandations intéressantes. Notamment la proposition d’un centre français pour l’IA qui serait un lieu de rencontre entre académiques et industriels et hébergerait des équipes souhaitant lancer un projet commun. Cette initiative est excellente et devrait être élargie au secteur des deep tech. A l'image d'Element AI, elle devrait aussi être portée par une équipe entrepreneuriale. Il s'agirait donc d'un nouveau modèle d'innovation qui permettrait de rapprocher le secteur de la recherche, des startups et des entreprises. Une équipe dédiée serait donc en charge d'identifier des opportunités "techno push" (des technologies de rupture qui ont un impact dans des cas d'application business identifiés) et "market pull" (des besoins du marché nécessitant de résoudre un challenge technologique bien défini). Cette équipe serait connectée aux meilleurs écosystèmes académiques et en relation avec plusieurs grandes entreprises partenaires. Ensuite, ces opportunités seraient concrétisées par la création d'une startup (association d'un entrepreneur en résidence avec plusieurs ingénieurs/chercheurs).
Retrouvez cet article sur la page LinkedIn de Cédric Favier où il a été initialement publié