C’était il y a un an exactement. Je suis à Londres, en train de devenir complètement schizophrène. Je passe mes journées à pitcher avec conviction possible des fonds d’investissement. Certains expriment un joli intérêt pour ma startup. Tout devrait me réjouir.
Pourtant je passe mes soirées au téléphone à exprimer un mal-être énorme avec mes deux associés restés en France. Je suis triste. Pour la première fois depuis la création de notre entreprise il y a 3 ans, je pense tout arrêter. Alors qu’on fait 450% de croissance annuelle et qu’une jolie de levée de fonds se dessine !
“On” me dit que je suis devenu fou et “on” a peut-être raison. Ce “on”, ce sont les mercenaires, les consultants, les experts en création d’entreprise, bref tous les types dont la journée se résume à partager sur leur twitter des annonces de levées de fonds. Ceux qui pensent que le succès d’une boîte peut se calculer au nombre de passages sur TF1.
12 mois plus tard, l’équipe n’a jamais été aussi soudée. 12 mois plus tard, tout le monde a retrouvé un grand sourire le matin ! 12 mois plus tard, 100 000 élèves ont pris un cours sur LiveMentor. 12 mois plus tard, je laisse mon ego de côté pour raconter ce qui se passe quand un porteur de projet commence à douter en permanence.
Que s’est-il passé pour en arriver là ?
Petit retour en arrière... J’ai créé LiveMentor pendant mes études, avec Grégoire et Charles, mes deux associés. LiveMentor est une École sur Internet.
Nous ne faisons pas de quizz, de QCM, d’exercices interactifs, bref, on ne fait pas d’e-learning.
On ne distribue pas de diplômes non plus parce qu’on veut des élèves qui veulent améliorer leurs compétences, pas recevoir un bout de papier par La Poste.
Toute notre pédagogie est basée sur l’échange entre le mentor et l’élève. Notre truc, c’est la transmission. Nous voulons permettre à nos élèves d’apprendre auprès de mentors qui adorent transmettre leur expérience. Quel que soit l’âge de l’élève et des matières très différentes.
Jolie vision, n’est-ce pas ! Le problème, c’est qu’il y a un an, tout cela ne fonctionnait qu’à moitié.
Des cours d’anglais, de mathématiques et de physique. Et c’est tout...
Nous ne proposons à l’époque qu’un seul format de cours, le cours particulier par webcam. Autrement dit, Jean prend un cours de 60 minutes avec Martin le lundi à 18 heures.
Il y a un an, deux statistiques résument LiveMentor :
- 80% de nos élèves étaient lycéens
- 80% des cours étaient donnés en mathématiques, en physique et en anglais
Malgré tous nos efforts, notre service d’éducation en ligne se limite terriblement au soutien scolaire. Nous avons pourtant proposé une version complètement différente à nos actionnaires historiques. Nous avons répété pendant des mois, des années que le cours particulier par webcam allait fonctionner pour tous les élèves, quel que soit leur âge.
Nous pensons surtout aux élèves adultes qui ont vraiment besoin de mettre à jour leurs compétences constamment. Les entrepreneurs, les freelances et les indépendants. Pourquoi sommes-nous incapables de les former ? Est-ce qu’on va vraiment devoir se limiter aux cours de mathématiques toute notre vie ?
C’est dans ce contexte que je me retrouve à Londres.
J’ai la sensation bizarre que quelque chose ne va pas. Que faut-il faire ? Exprimer ses doutes lorsqu’on discute d’investissements à 6 chiffres ? La vérité, c’est que je n’ai plus de stratégie à l’époque. Je sens qu’il y a un problème, mais je suis très loin d’avoir trouvé la solution. Comment l’assumer alors que j’ai proposé un plan très clair pendant des mois ?
Avec mes associés Charles et Grégoire, nous ne sommes donc pas au mieux. Cette période est la pire de notre parcours d’entrepreneurs.
La levée de fonds
La fin de notre levée de fonds s’opère en juin dernier. Je pourrais écrire un autre article uniquement sur les dernières semaines très tendues de cette opération. Les interlocuteurs sont nombreux et je gère mal la situation. Je reconnais aujourd’hui qu’à l’époque, j’ai l’esprit occupé autant par cette levée de fonds que par mon obsession de trouver le bon modèle d’éducation en ligne pour chaque élève.
Fin juin, nous finalisons donc une nouvelle levée de fonds avec notre actionnaire historique, ISAI. Nous disposons d’1,7 million d’euros en trésorerie. Les messages de félicitations pleuvent, mais nous sommes toujours autant dans le brouillard. D’ailleurs, en interne, personne ne fête cette levée de fonds. L’ambiance n’est pas morose, mais on a perdu le feu sacré.
Il faut que ça change. On se retire entre associés pendant 3 jours à Lacanau-Océan, chez mon père. Je ne sais pas si c’est le bruit des vagues ou l’influence des bambous, mais ça marche ! En 3 jours, on avance vraiment autour d’une idée phare : Pour grandir, nous devons créer différents formats de cours.
Durant ces 3 jours, on laisse de côté le produit, la communication, la technique, pour se concentrer uniquement sur la pédagogie. On comprend qu’un élève quel que soit son âge a besoin d’un horizon temporel.
Quand il s’agit de soutien scolaire, l’horizon temporel est donné par le collège ou le lycée. C’est simple. Je commence à prendre des cours particuliers de mathématiques en octobre avec l’échéance du bac en juin. Mais pour un élève adulte, il n’y a pas d’horizon temporel “naturel”. On interroge tous nos élèves adultes et le même retour revient : “Le mentor A me dit qu’il me faudra 3 mois pour progresser, mais le mentor B m’en donne 6 : qui croire ?”
On décide donc de créer un nouveau format de cours, intitulé “La MasterClass”. La MasterClass est une formation sur plusieurs semaines, composée de cours en ligne et en direct. Un mentor se retrouve en face de centaines d’élèves connectés au même moment, pour donner un cours le plus interactif possible.
30 jours
On sonde le terrain auprès de nos actionnaires. Les retours sont très mitigés et c’est normal. Nous avons affirmé avec grande conviction que ça allait marcher d’une façon pendant longtemps. Nous débarquons en disant l’inverse désormais. Les peurs s’expriment fortement :
- “Pourquoi est-ce que vous voulez tout changer ?”
- “Comment allez-vous gérer la cohabitation entre les différents formats de cours ?”
- “On est d’accord qu’on est en train de revenir sur tout ce qu’on affirmait l’année dernière ?”
On se donne le mois de juillet pour tester notre nouveau format de cours. L’équipe se met en mode commando et abat une quantité de travail hallucinante. Chacun se concentre sur ce qu’il fait de mieux.
On est tellement pris par le temps, qu’on décide de ne tester notre nouveau format de cours sur une seule matière uniquement. Et comme on n’a pas le temps de recruter un formateur, donc je donne la MasterClass moi-même.
Au bout des 30 jours, on lance le bébé. Je n’ai jamais été aussi stressé avant de donner un cours, il y a 500 élèves qui attendent de l’autre côté. Dans l’autre pièce, toute l’équipe LiveMentor suit le “show”, avec un mélange de peur et d’excitation. On stresse pour rien : les élèves adorent, pari réussi !
LiveMentor aujourd’hui
Depuis, nous continuons à construire notre École, nous avons parfaitement conscience des défis qui nous attendent et sommes prêts à les relever avec une équipe douée, motivée et ambitieuse, avec des investisseurs solides à nos côtés.
Il nous reste encore plein d’étapes à franchir. Nous devons faire cohabiter au mieux nos différents formats de cours. Nous devons faire exister les cours particuliers sur un modèle que nous connaissons par coeur, et développer les MasterClass où tout est à inventer. Nous devons continuer de lancer de nouvelles matières tout en garantissant une qualité homogène et maximale aux élèves.
Ce fut l’année la plus intense de notre parcours d’entrepreneurs. On a hâte d’en vivre une de plus !!
Crédit photos : Sarah Gully