Point d'achoppement de la relation entre les managers et leur équipe, le feedback permet pourtant d'améliorer l'engagement des collaborateurs et de leur permettre de s'améliorer. Très prisé des Anglo-Saxons, cet exercice a du mal à émerger en France. MyJob.Company décrypte les réticences françaises et apporte des éléments de solution.
Le feedback (ou remontée d'informations) ne fait pas partie intégrante de la culture managériale française. Nous le pratiquons trop rarement, sans en maîtriser les codes ni en comprendre les objectifs. Pourtant, se donner mutuellement des informations sur la performance d’un collaborateur et même d’un supérieur fait partie du cycle d’amélioration de tout être humain. Les études menées sur le sujet, y compris en France, démontrent que la pratique d’un feedback régulier permet d’améliorer l’engagement des collaborateurs (voir l'infographie ci-dessous). Faut-il importer la culture du feedback américain en France ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les managers français et comment y faire face ?
Le feedback : un échange entre deux parties
Le feedback est très ancré dans la culture anglo-saxonne et notamment aux Etats-Unis où le manager sait donner un feedback pertinent et efficace et où l’employé est prêt à le recevoir. Anne Levi, directrice des opérations chez MyJob.Company, l’a expérimenté. "Dans les pays anglo-saxons, le feedback fait partie intégrante des cycles d’amélioration, il est donc bien formalisé par celui qui le donne et en parallèle bien accepté et bien vécu par celui qui le reçoit. Et ça commence avant le monde de l’entreprise puisque lors de mes études en Australie, je recevais constamment le feedback de mes profs et des autres élèves, ce qui m’a considérablement aidé à progresser."
Mais alors, pourquoi les managers français sont-ils si mal à l’aise dans cet exercice ? "Culturellement en France, on aime mettre les formes, quitte à ne pas toujours se dire les choses, tandis que le feedback implique de donner (et d’accepter) des retours directs, des avis tranchés, parfois synonymes de confrontation." Le feedback demande donc du courage managérial et impliquerait un bouleversement des habitudes managériales françaises. "En France, le seul feedback donné est fait durant le point annuel. Or durant ce point, le salarié vient souvent avec une demande d’augmentation salariale. Il me semble que, en conséquence, nous avons tendance à lier un bon feedback à une augmentation… d’où la frilosité des managers français."
Faire grandir ses collaborateurs
Le changement de posture managériale implique d'abord, pour les managers, d'avoir le désir véritable et sincère de faire progresser ses équipes. "Dans mon ancienne entreprise, très marquée par sa culture américaine, un proverbe disait qu’un manager ne brille que si son équipe brille", raconte Anne Levi. Le feedback permet au collaborateur de comprendre clairement ce qu’on attend de lui tout en lui faisant un retour concret sur ses réalisations. Il peut également permettre de comprendre l’impact de ses actions sur le résultat collectif et l’impact de son comportement sur ses collègues. Surtout, le feedback permet au travailleur d’évaluer sa performance et la qualité de son travail, de savoir où se situe sa marge de progression et parfois même son talon d’Achille. "Pour synthétiser, le feedback permet d'offrir une possibilité d’ajuster ce qui doit l’être et de recevoir des signes de reconnaissance, détaille Anne Levi. Il enrichit les relations humaines en permettant à chacun une prise de recul, parfois accompagnée d’une prise de conscience, que permettent les regards extérieurs."
Pour être utile, il est donc primordial qu’un feedback soit constructif et que l’objectif premier du manager soit d'aider ses collaborateurs à se développer. Cette envie de faire progresser les autres doit s’accompagner d’un droit à l’erreur : comment apprendre sans essayer et comment essayer sans se tromper ? "Aux Etats-Unis, il n’est pas rare qu’un collaborateur junior prépare et présente une réunion importante à un big boss… En France c’est très rare, voire inédit."
Les écueils d’un mauvais feedback
De nombreux managers français ont été influencés par la culture américaine et ont tenté de mettre en pratique l’approche du feedback. Malheureusement beaucoup tombent dans les pièges les plus fréquents…
Un feedback par an
En France, nous adorons l’entretien annuel d’évaluation, seul moment au cours duquel les managers s’accordent le droit ou le temps de faire un feedback. Il est donné à froid et de manière très formelle, avec beaucoup trop de retard par rapport aux exemples que pourra apporter le manager. Le collaborateur pourra légitimement lui demander pourquoi il a attendu 6 mois avant de lui parler d’un sujet problématique. Le risque est que le salarié se sente critiqué et coincé car il est trop tard pour lui pour agir et corriger son travail. En conséquent, le feedback à froid engendre plutôt de la démotivation voire des conflits.
Ne donner que des feedbacks formels
Cela rejoint le point précédent : un feedback formel aura lieu dans un cadre précis et défini à l’avance, sous la forme d’une réunion et consigné dans un compte-rendu. Ce type de feedback n’est pas à bannir mais il ne peut, à lui seul, construire le cadre sain d’une relation managériale.
Ne donner que des feedbacks négatifs
C’est bien d’être un manager exigeant et de donner de la visibilité à ses collaborateurs sur ce qu’ils pourraient améliorer, c’est stimulant. Attention néanmoins à ne pas souligner uniquement ce qui ne va pas. Manager, c’est aussi être capable de faire un retour positif sur ce qui va bien. Les feedbacks sur des travaux correctement réalisés par les collaborateurs sont une grande source de motivation. A l’inverse, se contenter d’éléments négatifs, peut être totalement dévastateur pour le collaborateur. "L’un des pires exemples que j’ai pu voir était ce mail de feedback envoyé, au contenu très négatif et avec tous les chefs en copie, un procédé humiliant", tranche Anne Levi.
Ne pas entendre la réaction au feedback
Le feedback est un exercice complexe et complet mêlant de l’humain, de l’émotionnel, du psy, du factuel… Un des rôles du manager sera de savoir donner le feedback mais également d’être en mesure d’accueillir la réaction de ses équipes : susceptibilité, pleurs, démotivation… et de trouver ensemble une solution pour avancer. Pour cela, il fera très attention aux attitudes non verbales qui peuvent traduire l’impact négatif d’un feedback et ne laissera repartir aucun collaborateur sans l’avoir regonflé à bloc.
Ne pas adapter son mode de feedback à son interlocuteur
Donner le même feedback à tous ses collaborateurs sans s’adapter à leur personnalité, c’est s’exposer à des conséquences négatives. Certains préféreront un feedback très formel, d’autres n’y seront pas à l’aise. Certains ont besoin d’être poussés dans leurs retranchements, tandis que d’autres ont besoin d’être entourés… Bref, le feedback est aussi une question de sensibilité.
Faire des feedbacks à la va-vite
Faire un bon feedback demande du temps, de se poser, de détricoter une situation, de trouver les bons mots. Avec la pratique, les managers réussissent à donner à chaud de bons feedbacks mais cela demande de l’entraînement. Le risque avec un feedback superficiel est de tomber dans le "tout va bien" qui ne sert à personne ou de manquer d’exemples concrets, ainsi que d’être flou sur les leviers d’amélioration.
Confondre feedback et jugement
Une même idée peut être verbalisée comme un jugement négatif de la personne ou comme une mise en exergue d’un point d’amélioration. Le jugement négatif ("tu n’es pas une personne organisée", "tu n’as vraiment pas les qualités d’un orateur") est destructeur et peut atteindre gravement l’estime de soi d’un collaborateur… l’inverse de l’effet recherché, en somme.
Attendre que le salarié demande un feedback
Le risque ? Que le salarié ne le demande jamais, ou trop tard. C’est particulièrement vrai avec les millenials, qui non seulement attendent un feedback mais un feedback de qualité qui plus est ! 83% d'entre eux estiment ainsi recevoir un feedback trop peu étayé.
Les mauvais feedbacks sont souvent donnés par des managers pourtant désireux de bien faire. Malheureusement, ils ont tendance à répéter les schémas managériaux qu'eux-mêmes ont connu. Une prise de conscience de l’importance d’importer la culture du feedback en France est donc capitale. Mais l’approche "à l’américaine" est souvent considérée comme excessive et peu appréciée en France. Cette culture anglo-saxonne va nécessiter des ajustements afin que nos managers français puissent se l’approprier, trouver la bonne façon de donner leur feedback.