Incarnation du mouvement des Pigeons, initié en 2012, France Digitale relance le combat et entend bien s'attaquer à tout ce qui entrave la croissance des startups françaises. “On est en train de tout gâcher”, s’alarme Olivier Mathiot, co-président de l'association, dans une tribune publiée sur Medium.
En cette fin de mandat présidentiel, règne une ambiance de fin de régime. L’image même de la fonction politique est mise à mal en France : la méfiance et la peur prennent le dessus chez nous, et s’alimente aussi des secousses du Brexit au Royaume-Uni ou de l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Le pouvoir exécutif semble perdre pied et ne plus contrôler ses troupes. On peut penser que “la démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres”(Winston Churchill), que les députés et les ministres sont libres de porter leurs convictions et leurs combats personnels. On ne pourra pas améliorer l’image de notre (encore assez) grand pays sans un minimum de sang froid et de consistance.
Depuis quelques semaines, les entrepreneurs sont pris sous le feu de violents tirs de barrage désordonnés en direction de la “maison startup”, encore bien fragile. Je crains d’être blâmé, pour poujadisme numérique ou autres noms d’oiseaux. Mais je suis tenté de déclarer que la chasse aux pigeons est à nouveau ouverte!
Rappelez-vous, il y a 5 ans, comme cette mandature avait mal entamé sa relation avec l’entreprise ! La mobilisation des pigeons (#geonpi) avait marqué le début d’un bras de fer entre le politique et les entrepreneurs. A la suite de joutes médiatiques et législatives, après des hauts et des bas, la France avait renoué une presque idylle (certes le mot est un peu fort !) avec les startups. Sur les étagères du haut sont entreposées les Assises de l’Entrepreneuriat, la création de la French Tech, la constitution de la Banque Publique d’Investissement. Fleur Pellerin, Emmanuel Macron puis Axelle Lemaire surent au final bâtir un bilan, pour le numérique et l’entrepreneuriat, tout à fait honorable.
N’oublions cependant pas les étagères du bas : on gardera en mémoire quelques mauvais délires créatifs fiscaux, dont le taux de prélèvement sur les revenus de 75% est le symbole des excès dogmatiques ; l’embarrassant épisode Montebourg-Dailymotion ; la crise ultra violente des taxis contre Uber ; l’ubuesque loi Hamon pour réglementer les cessions d’entreprise… Ces images demeurent, par persistance rétinienne et cathodique. A cause de ces images, notre pays continue de pâtir d’un procès en immobilisme, alimenté dans les sphères anglo-saxonnes et asiatiques par des préjugés sur notre capacité à nous projeter vers l’innovation, et à notre propension à rester les pieds bloqués dans la glaise du 20è siècle.
La France a, certes, récemment bénéficié de l’impact positif de levées de fonds spectaculaires, telles que celles de Blablacar, Sigfox, Sarrenza, Believe, Teads, Younited Credit, Evaneos, Dashlane, ou encore Drivy. Mais la place parisienne demeure encore loin de celle de Londres en termes de capacité de mobilisation d’investissements et de talents d’envergure planétaire. Notre forêt de startups est toujours cachée par quelques arbres qui ne sauraient suffire à endiguer les terribles statistiques du chômage.
Pour créer des emplois il faudra que plus d’entreprises trouvent davantage de fonds pour investir dans leur croissance et atteindre une taille mondiale.
Saviez-vous qu’aucune startup française n’est identifiée parmi les 25 nouvelles licornes recensées en 2016 dans le monde ; et que, sur 47 licornes européennes, seules 3 sont françaises? Il ne s’agit pas de jouer les Cassandre, mais de comprendre et proposer, afin que notre pays retrouve son dynamisme et son rang. Pourquoi la France demeure-t-elle en retard sur la piste mondiale? Pourquoi avons-nous autant de startups mais si peu qui deviennent des champions du monde?
Il semble que cette fin de mandat présidentiel éclaire un des maux les plus chevillés à notre corps social : la querelle des modernes contre les anciens.
Je ne hurle pas au complot, mais la situation récente me paraît ubuesque, échappant complètement à toute ligne stratégique pensée au sommet de l’Etat.
Une série d’initiatives législatives concomitantes et peu appropriées vient nous voler dans les plumes, sans que l’on en comprenne la vision d’ensemble.
Tout a commencé par la remise en question du dispositif de partage de la richesse dans les entreprises, à savoir la distribution d’actions gratuites aux salariés. Les startups portent un modèle vertueux, où le capital se partage entre fondateurs, investisseurs et collaborateurs. Comprenons que ce dispositif est d’autant plus crucial que la majorité des startups, malgré leur hyper croissance, ne sont pas encore bénéficiaires, et ne peuvent donc pas proposer de plan de participation ou d’intéressement à leurs collaborateurs ! En moins de deux ans, l’Assemblée est revenue deux fois sur la loi qui en facilitait l’attribution.
La motivation semble nourrie des distributions excessives à quelques grands patrons de l’industrie traditionnelle. Mais la réponse française est ici, comme trop souvent, d’hyper réagir en légiférant au napalm indépendamment des dégâts collatéraux. En outre, on envoie là un signal d’instabilité sidérante au monde qui nous observe, avec un règlement qui revient après un an à peine sur la loi Macron, comme s’il s’agissait de punir par contumace l’enfant prodigue ayant quitté le nid trop tôt ! Mais ce revirement législatif risque tout simplement de cibler par inadvertance nos entreprises de taille intermédiaire (ETI ou “scale-up” qui est la phase de croissance après la start-up) dont la France a tant besoin !
Puis vinrent les VTC et avec eux, notre modèle de création d’emplois au travers des plateformes. Une proposition de loi, nourrie du débat houleux et médiatique avec les taxis, complexifie la vie des nouvelles recrues et, risquant ainsi de freiner la création d’emplois de chauffeurs indépendants ou salariés… Alors même que ces nouvelles formes de transport semblent répondre à un véritable engouement à la fois du public et des chauffeurs.Encore une loi qui succède à une loidatée de 2 ans à peine. OUI, le problème de statut social des indépendants n’est pas encore bien encadré par la loi, et il y a sans doute des abus. Mais est-il urgent, à nouveau, de céder à la panique ou à la pression des taxis traditionnels qui avaient longtemps vécu protégés et ne créaient que peu d’emplois comparativement à l’explosion récente des plateformes Internet? Celles-ci permettent à beaucoup de jeunes et moins jeunes, qui étaient pour la plupart fragilisés socialement, de retrouver une inclusion sociale, une ambition et des revenus, certes modestes mais encourageants.
Le ministre Christian Eckert ajoute précipitamment un article au projet de loi finances 2017 consistant à créer un prélèvement social sur une partie de l’économie collaborative en pleine explosion, à savoir la location entre particuliers d’appartements et d’automobiles. Cette mesure obligerait lesdits loueurs à devenir des professionnels qui devraient cotiser au Régime Social des Indépendants (le très décrié et nébuleux RSI). BIEN SUR, il faudra définir un cadre social pour ces nouvelles formes de revenus des professions non salariées!… Sans pour autant céder à la pression des traditionnels groupements d’hôteliers ou loueurs de voiture qui cherchent encore à protéger leur rente par… la loi. La “sharing economy” est complexe : chaque modèle économique a son propre équilibre. On peut louer, partager, vendre, échanger : dans chacun des cas les bénéfices ne sont pas comparables. Imagine-t-on bientôt taxer la distribution de cakes réalisés par les parents pour les goûters d’anniversaire sous la pression du lobby des boulangers-pâtissiers?
Le projet de Loi de finance 2017, le dernier de ce mandat semble proposer un CPI (compte PME Innovation) pour motiver les entrepreneurs à réinvestir leur plus value dans de nouvelles startups : louable intention soutenue depuis longtemps par France Digitale pour créer un véritable écosystème reposant sur “réemploi” de l’argent des entrepreneurs-investisseurs, dont je fais partie. Mais déjà les rumeurs courent que le projet proposé est tellement restrictif que presque aucun business angel ne l’utilisera ni ne le cautionnera. Encore un projet mort-né? L’enjeu est ici de lutter contre l’exil fiscal, n’ayons pas peur de tabous associés à l’ISF!
Chacune de ces initiatives législatives part d’un sentiment louable, tel que l’enfer en est pavé. “Ce qui est terrible en ce bas monde, c’est que tout le monde a ses raisons”(comme disait Jean Renoir dans la Règle du Jeu). Pour autant il serait bon que le Gouvernement nous montre sa raison globale, sa règle du jeu qui nous oriente aujourd’hui. Le risque de gâchis et de morcellement est fortement probable en cette fin 2016.
Le droit à l’expérimentation
Prenons le temps d’observer la croissance, de ne pas céder à la pression du XXème siècle et de son cortège d’influences qui nous tirent en arrière et nous empêchent d’innover. « Test and try » est la définition de l’agilité dans les startups. Alors laissons chacun expérimenter avant de tirer sans sommation.
En France, les Députés et les Ministres ne pensent exister que s’ils parviennent à créer des nouvelles règles qui porteront leur nom. C’est une forme de conservatisme qui les motive aujourd’hui, dans l’esprit de protéger l’existant, de maintenir le statu quo. Ce phénomène illustre un clivage provoqué par l’actuelle révolution industrielle, numérique et mondiale : la violente guerre de générations face à un monde du travail que nos politiciens ne comprennent plus et qui a en effet de quoi interroger nos peurs mais aussi attiser notre créativité enthousiaste.
“Il ne se rendait pas compte du fait qu’il y a autant de liberté et de latitude dans l’interprétation des lois que dans leur rédaction. […] Nous voyons donc à quel point ce législateur se trompait : nous avons en France plus de lois que n’en a le reste du monde tout entier […]. Les plus souhaitables sont les plus rares, les plus simples, et les plus générales : et je crois même qu’il vaudrait mieux ne pas en avoir du tout, plutôt que d’en avoir autant que nous en avons.”(Essais, III, 13. “Je n’ai guère de sympathie pour l’opinion de celui qui pensait, par la multiplicité des lois, parvenir à brider l’autorité des juges en leur taillant là-dedans les morceaux qu’il leur faudrait [pour chaque cas].)
À nouveau les roucoulements des #geonpi retentissent
Qui se rappelle cette définition du “libéralisme”, non pas économique mais sociétale? Elle nous venait du 16è siècle de Montaigne : elle pourrait être le socle d’un social-libéralisme du 21è siècle. A nouveau, les entrepreneurs désespèrent de pouvoir créer des opportunités d’emplois et de revenus ; à nouveau le divorce politique?—?startup s’écrit tristement ; à nouveau les roucoulements effrayés des #geonpi résonnent dans les rues de France : le tir au pigeons les fera-t-il voyager vers d’autres cieux ?