Le numérique à l’école, voilà plusieurs années que ce vaste chantier traverse les gouvernements et que les initiatives se multiplient. “Développer des méthodes d’apprentissage”, “favoriser la réussite scolaire”, “développer l’autonomie” ou encore “préparer les élèves aux emplois de demain”, autant de belles intentions qui peuvent se transformer en adoption aveugle et, au final, ne pas répondre aux besoins pédagogiques du numérique en classe.
Est-il pertinent de vouloir imposer le numérique partout et à tous les niveaux ? Et si oui, pour quelles raisons ? L’utilisation de ces nouvelles technologies à l’école est-elle bénéfique pour l’élève ? Quels en sont les éventuels dangers et comment les préparer à y faire face ? Quid du collaboratif ? De la protection des données ? Autant de questions qui méritent des réponses à la hauteur de l’enjeu que représente l’utilisation du numérique dans le cadre scolaire.
La technologie avant l’informatique ?
La formation des élèves au numérique semble indispensable. Mais avant de les “jeter” dans le grand bain du digital, il est fondamental de rappeler d’emblée que ces technologies sont… une construction de l’Homme. Et d’en expliquer ainsi les fonctionnements sous-jacents, ce que l’on appelle précisément la technologie : les ordinateurs, les câbles, les ondes… Ce sont des sujets passionnants et formateurs de l’esprit scientifique d’une part, mais surtout de l’esprit critique. En comprenant comment le monde est fait, l’élève pourra alors exercer sa capacité de recul : sa compréhension des technologies fondamentales (le “hardware”) va lui permettre de faire grandir sa compréhension globale. Mais ne voit-on pas aujourd’hui s’opérer l’inverse ? Confier aux enfants des tablettes toujours plus modernes et leurs logiciels “clef en main”, c’est mettre l’élève face à un système “global” alors qu’il n’a aucune idée de la technologie fondamentale. Si l’école a bien un rôle à jouer vis-à-vis du numérique, c’est celui de donner des clefs de compréhension technologique à ses élèves.
Un outil ancré dans le réel
Une fois l’aspect technologique abordé, l’apprentissage du numérique et de ses applications devrait passer par un ancrage dans la réalité. Car ce qui sera difficile pour un enfant, c’est de faire la distinction entre ce qui est virtuel et ce qui est réel. Les applications numériques ne sont pour la plupart pas virtuelles, mais bien au service du réel : les emails servent à correspondre entre deux personnes réelles, il en est de même pour la visioconférence, ou encore une conversation instantanée. Et dans un monde où l’intelligence artificielle s’émancipe (le développement des assistants personnels ou deschatbots en témoignent), où les algorithmes de suggestion foisonnent (suggestion d’amis, de restaurants, etc.), il est absolument nécessaire d’éduquer le regard de nos enfants. Ce regard, c’est un « réapprentissage » du réel, du concret, du vrai. Si l’école éduque au “vrai” alors l’enfant sera capable de distinguer ce qui ne l’est pas, et encore développer son esprit critique, sa liberté de penser. Concrètement, pour répondre à la problématique de l’apprentissage aux réseaux sociaux, il peut être envisagé de déployer un réseau privatif, cantonné à l’école et régi par les mêmes droits et devoirs. Il est important que l’élève ait conscience que l’utilisation d’un outil numérique, au sein de l’école, doit suivre les mêmes règles de conduite que celles de l’établissement ; et ne pas faire d’emblée de distinction entre un outil numérique qui serait “virtuel” et la vie “réelle”. L’outil sera un support d’éducation s’il est ancré dans le réel.
Pour éduquer, il faut alors envisager la mise en place d’une charte, rédigée entre les élèves et le corps enseignant, tout en mettant en lumière les bonnes pratiques et bien évidemment les écueils à éviter. Et comme dans la vie “réelle”, on peut imaginer des sanctions, comme par exemple l’expulsion temporaire de la “sphère numérique” de la classe ou d’un groupe de travail. L’enfant comprendra ainsi parfaitement qu’il a transgressé.
En parallèle, des outils de motivation dits “incentive”, peuvent être mis en place pour récompenser et mettre en avant les bons travaux et les apprentissages acquis. Un système de badges virtuels, dans un réseau social privatif limité à l’école, serait ainsi le parfait prolongement des systèmes de notes en classe ou de “bons points”.
La course au “plus” numérique
Les initiatives ne manquent pas au moment d’aborder le numérique avec les élèves : “Twictée”, exercice de dictée pour découvrir le réseau social Twitter, création d’une page Facebook dédiée à la classe ou même d’un compte Snapchat pour échanger avec d’autres établissements. Cependant, l’usage du numérique à l’école devrait rester dans la sphère scolaire. Non dans la seule école de l’enfant, car un des usages primordiaux d’Internet est de pouvoir communiquer à longue distance, mais dans la sphère scolaire.
Pourquoi ne pas faire communiquer, travailler ou jouer deux classes d’un même département ensemble en utilisant un outil collaboratif simple ? Pour cela, on peut envisager l’échange de messages dans une sphère privée, c’est-à-dire uniquement accessibles au corps enseignant, aux élèves et éventuellement à leurs parents. Le numérique est un outil puissant et l’enseignant a un devoir de protection vis-à-vis de l’élève. Les outils choisis doivent ainsi protéger l’enfant et non l’exposer. Par exemple, à l’occasion d’événements scolaires, la diffusion de photos de classe doit impérativement être maîtrisée et doit donc pouvoir s’appuyer sur des outils de confiance.
Une fois encadrés, protégés, les élèves pourront profiter de la puissance des technologies. La vidéo est par exemple un support parfaitement adapté sur lequel il est intéressant de s’appuyer. On peut imaginer des mini-projets vidéo, où un élève présente, face caméra, son exposé. Cette méthode permet notamment d’apprendre aux élèves à s’exprimer devant un groupe et de travailler leur élocution. En postant cette vidéo, dans un cercle privé toujours, les autres élèves pourront ainsi revisionner la séquence, la commenter et s’en inspirer pour les prochains passages, évitant ainsi toute dérive puisque l’enseignant, comme en classe, en serait l’administrateur.
Le numérique est, pour l’école, une richesse, une opportunité. Pour autant, glisser une tablette dans les mains de chaque élève sans se soucier de ce qu’il va en faire par la suite n’est pas une bonne chose. Et surtout, ce « témoignage à la modernité » n’est pas un gage d’égalité des chances comme on voudrait nous le faire croire par démagogie ! Nous attendons plus de l’école pour nos enfants : nous attendons qu’elle réfléchisse à ce qu’il faut éduquer et leur transmettre. Et avant tout une culture, un savoir vivre ensemble, et des valeurs. Où est le numérique ici ? Partout ou nulle part.