Les conseils d’administration discordants mènent des entreprises viables à voir leurs réserves de liquidités s'épuiser, ce qui déclenche une destruction massive de valeur. Tout le monde cherche à comprendre mais personne n’arrive à trouver les défauts à l’origine de cette malheureuse suite d’évènements. Tout le monde se pointe du doigt mutuellement. Ce schéma a été observé bien trop souvent (et cela m’énerve, parce que cette situation peut être évitée).
Imaginons que vous ayez une affaire qui fasse 5 millions de dollars de chiffre d’affaires mensuel ; vous brûlez un peu de cash, mais pas trop, et vous affichez de solides performances sans pour autant être une star. Votre conseil d’administration et vos investisseurs sont incertains quant à votre futur. Certains souhaiteraient que vous vendiez, d’autres préfèreraient créer plus de valeur. La question revient sur la table depuis six mois, et parce qu’il n’y a pas de réponse évidente, aucune décision n’est prise. Les gens commencent à se sentir frustrés. Vous vous demandez comment l’ambiance a pu changer si radicalement.
Vous finissez par céder afin de ne plus subir de pression et décidez de « tester le marché ». Au fond de vous-même, vous pensez que c’est trop tôt mais vous vous sentez obligé de générer un retour sur investissement pour vos investisseurs. Vous embauchez un conseiller ; pas un conseiller génial puisque vous ne représentez qu'un mandat à 100 millions et quelques et que les honoraires ne seront donc pas colossaux… Et vous voilà à chercher un repreneur.
La fusion-acquisition se passe moyennement bien. Peut-être parce que les offres sont trop basses, ou peut-être parce qu'un soupirant a décidé de vous mener jusqu'à l’autel pour mieux vous jeter ensuite. Vous entendez beaucoup de « c’est un peu tôt pour vendre, vous devriez régler ci et ça (ce que vous saviez déjà) ». Vous êtes désormais grillé sur le marché et il vous faudra une ou deux années avant de pouvoir retourner la situation. Vous vous souvenez de cet adage qui dit que « les bonnes entreprises se font achetées, elles ne se vendent pas » et, maintenant, vous le comprenez.
Pendant ce temps, vos investisseurs ne sont plus intéressés. Vous n’avez pas été assez concentré sur la bonne marche quotidienne de votre entreprise et les performances s'en ressentent. Tout le monde a désormais l’impression que vous êtes un entrepreneur de second rang. Les investisseurs membres de votre conseil d’administration sont maintenant soumis à une réelle pression de leurs fonds : "nous n’arrivons pas à la vendre, donc assurez-vous de vous en sortir sans trop de casse". Les gens sont passés à autre chose.
Et vous, au milieu, regardant ce comité ; naïvement persuadé que s’il manque quelques millions, les trouver auprès de votre groupe d’investisseurs actuel ne devrait pas être un trop grand problème. Après tout, ils vous ont toujours soutenu.
Lorsque vous vous retrouvez réellement à court d’argent, vous vous rendez brutalement compte que le conseil d’administration ne s’intéresse pas véritablement à votre futur. Sans la perspective d’un financement à venir, on vous annonce soudainement que vous êtes placé en redressement. Ça vous fait l’effet d’une gifle. Vous ne l’aviez pas venu venir ! Vous voilà maintenant bataillant pour trouver un preu chevalier avant que les administrateurs ne prennent la main. Vous y arriverez. Ou peut-être pas.
Même si l'histoire s'arrête là, gardez bien ça à l'esprit : ce scénario n’implique personne de foncièrement mauvais ou mal-intentionné. Tout le monde fait son travail en étant rationnel. Mais l’issue est toujours la même. Par une succession de décisions court-termistes, et parce que personne n’a pris le temps de s’arrêter et de se poser les questions de fond, une entreprise solvable risque d’exploser en vol.
Quand vous vous construisez, trouvez un bon président qui a la capacité de réellement faire le pont entre les membres du conseil et de tirer la sonnette d’alarme assez tôt. Néanmoins, c’est au final votre boulot de fondateur que de vous assurer que l’entreprise est financée. Si votre conseil se chamaille et ne s’entend pas, vous devez prendre les mesures nécessaires pour assurer la survie de votre entreprise. Votre responsabilité envers les actionnaires peut à vrai dire être de les protéger d’eux-mêmes. Ne perdez pas tout votre argent et bon jeudi !