En septembre 2015, DoYouBuzz annonce avoir dépassé le million d’utilisateurs sur son application qui permet d’éditer son CV en ligne. En constante progression depuis sa fondation en 2007, la startup qui compte aujourd’hui neuf salariés n’en a pas moins connu des périodes délicates. Rencontre avec son fondateur Ludovic Simon, « entrepreneur libéré ».
Article issu d’un dossier d’étude réalisé par Valentin Rocheteau, étudiant à Sciences Po Rennes
La constitution d’un modèle pyramidal
« Au départ, il y a une ambiance copain. On a le leader (moi), qui a l’idée, qui récupère un peu d’argent et qui embarque ses potes. Mais il n’y a pas de réelles structures de management » Ça aurait pu ne pas fonctionner, comme pour beaucoup d’entrepreneurs inexpérimentés, mais chez DoYouBuzz ça marche, et on commence ainsi à lever des fonds et à embaucher. « Inconsciemment, j’ai alors naturellement recréé une forme de management pyramidal et archaïque, avec des chefs de secteur ».
Les mois passent, mais l’entrepreneur avoue traverser des situations difficiles : « Comme je levais des fonds, je promettais des résultats que mon équipe devait accomplir. Et que ça marche ou ça ne marche pas, je devais rendre des comptes. Chez nous, c’est 800 000 euros de financements externes. Du coup le piège dans lequel je suis tombé, comme j’étais l’homme clé de la boîte, c’est de prendre des décisions sur tout ».
« Au tout début c’est normal, mais au bout de trois ans ? Est-ce que je suis encore plus légitime que le graphiste pour dire comment doit être l’interface utilisateur DoYouBuzz ? J’étais dans une situation pyramidale où je contrôlais tout » La plupart du temps un consensus se forme, et ce n’est pas mal vécu. Mais de temps en temps il y a un désaccord : « Comme je suis responsable de tout, dès qu’un truc cloche, je partage la responsabilité... Et ça n’est pas sain au bout d’un moment d’être responsable sur des choses où tu n’as pas de compétences particulières. Ça crée des tensions »
Le temps de la libération
« Les premières années, je me rassurais en écoutant d’autres entrepreneurs partager leur expérience de solitude, de prise de distance avec leurs équipes. Comme les autres, je justifiais ainsi que j’étais mieux payé, après tout c’était moi qui avait créé la boîte et créé les emplois sur le territoire ». Un modèle qui épuise toutefois Ludovic et n’épouse pas vraiment les aspirations de chacun, au point de se répercuter sur les performances de l’entreprise. En 2013, il découvre le concept d’entreprise libérée en lisant Isaac Guetz.
" Je découvre que le manager peut avoir un autre rôle, celui de facilitateur, d’accompagnateur, quelqu’un qui soit dépositaire de la vision. Je me rends compte que ce qui n’est pas bon c’est de rassembler tous les pouvoirs sur une personne "
L’équipe commence alors par tout remettre à plat, à commencer par la hiérarchie : « Il y a toujours des hiérarchies, mais des hiérarchies de légitimité car naturellement on retrouve des gens qui s’y connaissent mieux sur certains points ». Il a donc fallu mettre de l’ordre et préciser les responsabilités de chacun. « Il ne faut pas être dans le consensus qui est fatigant et empêche bien souvent de prendre des risques. Il ne faut pas non plus se retrouver avec une personne qui décide seul. C’est disqualifiant »
Un nouveau management des responsabilités est alors mis à l’épreuve : le « advice process ». Par exemple, le graphiste est responsable de l’interface utilisateur, ainsi son rôle consiste à faire en sorte que les utilisateurs soient bien guidés sur le site. En conséquence, le graphiste parle aux autres membres de l’équipe impactés par ses décisions : le responsable technique, le responsable produit, voire même le responsable de la vision. « On sait tous que c’est lui qui va trancher à la fin, mais on a chacun la responsabilité de donner notre avis. Le plus important c’est que tout le monde ait été entendu ».
Un changement de méthode qui s’est avéré être une bouffée d’oxygène pour Ludovic : « En me dégageant de ces responsabilités, je peux me concentrer sur la vision, sur les investissements. Je suis libéré d’une sur-responsabilité débile, et je suis beaucoup plus heureux comme ça. J’ai plus de temps, moins de stress, l’intelligence de mes collaborateurs est davantage respectée."
" Désormais, chacun a son champ de responsabilités et chacun a le droit à l’erreur. Par contre quand il y a erreur, on doit pouvoir ranger son égo et en parler en toute transparence "
En effet, cette libération de l’entreprise n’a rien d’habituel selon Ludovic : « On n’a pas été formé à l’intelligence collective. On a tous grandi avec une hiérarchie de pouvoir très claire, et on n’a pas été habitué à dire les choses quand ça va mal, sans que cela déchaîne des passions. Donc il faut tout réapprendre ». Cette transition s’accompagne donc de petits conflits structurants : « Il y a toujours des trous dans la raquette, donc très régulièrement il faut rediscuter ensemble des rôles et responsabilités, surtout que dans une startup, le produit évolue très vite, les cartes peuvent rapidement être redistribuées. Il faut tenir compte des envies des gens, parfois tu te rends compte qu’il y a un type qui a pris un rôle dans la boîte qui ne lui correspond pas, donc il faut pouvoir le refiler à quelqu’un. C’est inconcevable dans un système pyramidal avec une hiérarchie et des fiches de poste rigides ».
La clé du système réside donc dans la motivation de chaque individu : « Quand tu as la motivation, tu peux tout apprendre en 6 mois ou un an. Et je considère que tu respectes les gens quand tu ne considères pas que leur seule motivation soit l’argent. Les gens veulent du sens, exprimer leur intelligence. Si tu leur en empêches, ils seront toujours là mais moins motivés et tu te prives d’une valeur énorme »
Moins de contrôle, plus de souplesse
La « libération » de l’entreprise s’exprime aussi à travers la fin des systèmes de contrôle au profit de nouvelles pratiques fondées sur la confiance : télétravail (travailler d’où on veut), flextime (travailler quand on veut), open source (partage de connaissances), ...
« J’ai un de mes associés qui habite maintenant au bord de la mer, il revient seulement deux jours par semaine à Nantes, et un de nos développeurs a passé 3 semaines à travailler depuis la République Dominicaine ! C’est génial, ça ne pose aucun souci. On utilise beaucoup de conférences vidéo, de chat instantané et on a une base de connaissance interne ». Cette base de connaissance permet à chacun d’y mettre ses documents, quel qu’ils soient, pour que les autres puissent les consulter. Une liste de tâches à faire, classées par priorités, est tenue, permettant aux développeurs d’y piocher leurs missions. Les analyses, reportings, etc. y sont également accessibles en toute transparence : « Les développeurs aiment bien avoir les infos business, marketing, et ils ont parfois des bonnes idées à partager. Ils ne sont pas juste bons à développer ! ».
D’autres expérimentations ont toutefois moins fonctionné : « Les vacances illimitées, j’avais proposé ça car je partais plus que les autres en vacances. Mais on s’est rendu compte que si chacun prenait plus de 7 semaines de congés payés, ce qui est finalement déjà pas mal et convient à la plupart, un moment ça perturberait l’organisation de la production. Donc ça ne fonctionne pas car ça ne sert pas l’intérêt de l’entreprise. En fait, c’est plus facile pour moi de prendre des vacances, car je ne suis pas en train de produire des choses de façon très concrète donc mon absence perturbe moins l’organisation de l’entreprise ».
Toujours est-il que chaque collaborateur peut désormais décider en toute confiance de quelle manière il peut participer au développement de l’entreprise.
Bilan
Après trois années passées sur le chemin de la libération, la startup continue d’apprendre. Si elle présente toujours une bonne santé économique avec un chiffre d’affaire à 515.000 euros en 2015 et 15% de croissance enregistrés entre 2014 et 2015, cette libération a surtout permis à chaque collaborateur d’exprimer pleinement son potentiel, de s’épanouir et de progresser.