Si Netflix est connu pour son innovation technologique, le service de streaming s’attaque aujourd’hui autant à faire évoluer les usages des spectateurs que ceux des créateurs de séries et films. Plongée aujourd’hui dans la vision stratégique de Netflix, une vision qui va même justifier la récente fermeture de son bureau français.
« Le film de 21:00 » : un concept qui sera totalement étranger pour nos enfants d’après Reed Hastings, CEO de Netflix. Les modes de consommation de la télévision sont en train de drastiquement évoluer jusqu’à justifier l’émergence d’une nouvelle catégorie dont Netflix se veut le fer de lance : l’internet TV.
Pour Hastings, son contraste avec la télévision classique serait comparable à celui entre téléphone portable et ligne fixe : l’apparition d’un nouveau paradigme. Les avantages martelés par Netflix sont maintenant bien connus : il s’agit de donner le contrôle à l’utilisateur de regarder ce qu’il veut, quand il veut, sur l’écran de son choix. Les avantages du « on-demand » poussés à l’extrême.
L’autre message clef de l’entreprise a toujours été centré sur la technologie. « Pouvons-nous devenir l'entreprise de distribution de divertissement la plus innovante du monde ? » C’est la question que Reed Hastings avait posée en 2006, alors que l’entreprise était sur le point de transformer son business de location de DVD pour lancer son offre de streaming. L’innovation technologique est depuis restée un vecteur fort dans la communication de Netflix, se faisant connaître pour son algorithme de recommandation et son penchant à utiliser le Big Data et l’A/B testing pour renseigner ses décisions stratégiques et produits.
Le discours de Netflix semble pourtant connaître aujourd’hui une nouvelle évolution... l’innovation technologique disparaît en coulisse pour permettre à la marque de se concentrer sur un autre genre d’innovation.
Netflix : innovation & risque
" J’avais entendu une rumeur persistante à Hollywood : Netflix est LE lieu où tester de nouvelles choses "
Si Ashton Kutcher prononce ces mots avec le sourire espiègle d’un enfant de 10 ans, il ne faut pas négliger la position de l’acteur : celle d’un observateur privilégié de la Silicon Valley avec des investissements dans une cinquantaine de startups (dont Airbnb ou Flipboard). Ashton Kutcher commencera par revenir sur le rôle qui l’a mis sur la route de la célébrité : Kelso dans « That ’70s Show ».
Au moment de la première saison (1998), le réseau Fox était connu pour sa volonté de prendre des risques. Le paysage a pourtant beaucoup évolué depuis et la Fox n’est plus la destination de choix pour expérimenter de nouvelles choses : c’est aujourd’hui vers Netflix qu’il s’est tourné pour proposer « The Ranch », un live multi-cam sitcom (il faut comprendre par là que cette série humoristique est capturée en direct, devant une audience, par une multiplicité de caméras).
Pour Kutcher, l’idée a émergé d’un simple questionnement : pourquoi les choses sont telles qu’elles sont aujourd’hui dans le milieu de la comédie ? Pourquoi faut-il que ce soient des épisodes de 20 minutes formatés d’une certaine manière ? Pourquoi ne pas les réimaginer autrement ?
Et c’est justement tout ce pour quoi Netflix veut se démarquer : bousculer le statu quo, remettre en question tout ce que vous pourriez avoir intégré sur le monde des séries et films. L’exemple le plus emblématique de cette volonté de faire différemment sera certainement « Tigre et Dragon 2 », un film produit par Netflix qui est sorti le même jour en salle de cinéma et sur le service de streaming (excepté en France où la chronologie des médias l’a empêché). Un choix surprenant qui a évidemment fait grincer des dents l’industrie du cinéma.
Même Kevin Spacey devra reconnaître sa surprise devant la manière de fonctionner de Netflix. Lorsqu’il raconte les débuts de House of Cards, cela commence par une tournée des réseaux de télévision. Ils trouvaient tous l’idée de la série très intéressante mais insistaient sur la réalisation d’un épisode pilote avant de s’engager. Jusqu’à la rencontre avec Netflix. Non seulement Ted Sarandos (Chief Content Officer) ne leur imposait pas de pilote, mais il allait plus loin en leur demandant « combien de saisons de House of Cards souhaitez-vous faire ? » Complètement déstabilisée par cette question inhabituelle, l’équipe avait répondu un « 2 » hésitant. Quatre saisons, 6 Emmy Awards et 2 Golden Globes plus tard, Kevin Spacey va vanter le courage de Netflix d’avoir choisi la vision long terme plutôt que l’inverse. Cette anecdote va également nous permettre de mettre fin à une légende urbaine : celle qui voudrait que Netflix a utilisé le Big Data pour créer House of Cards.
Si on écoute le mythe autour de la série, on voudrait nous faire croire que Ted Sarandos a fait appel à une sorte d’algorithme secret pour faire ressortir le fait qu’un remake de la série de la BBC rassemblant David Fincher et Kevin Spacey connaîtrait un succès sans précédent. Un tel algorithme n’existe pas et la vérité est bien différente. Si nous reprenons l’histoire là où l’acteur derrière Francis Underwood l’a commencée : David Fincher et Kevin Spacey pitchaient l’idée d’un remake de la série britannique House of Cards depuis quelques temps déjà, leur permettant de faire le tour de l’ensemble des grands networks. À ce stade, un meeting était planifié avec Ted Sarandos. Ce dernier avait pris le temps de regarder les quelques données à sa disposition pour l’assister dans sa prise de décision. Les films réalisés par David Fincher rencontraient un vif succès sur Netflix, tout comme les films de Kevin Spacey. De la même manière, la série de la BBC dont ils se proposaient de faire un remake, trouvait son audience sur le service. Par un simple jeu d’addition, une série rassemblant ces 3 facteurs semblait un pari relativement sûr pour le Chief Content Officer de Netflix.
A ce stade, il était suffisamment convaincu par le projet pour se passer d’un pilote et leur poser la fameuse question : « combien de saisons de House of Cards souhaitez-vous faire ? » Et si Kevin Spacey le félicitera publiquement par la suite sur sa vision long terme, son mérite se résume à avoir pris le risque de produire une série. Il pourrait sembler que l'on minimise l’apport d’un Netflix sur une série comme House of Cards. Et c’est certainement le cas : David Fincher aurait certainement fini par accepter de faire un pilote pour en prouver la valeur du concept et nous connaîtrions peut-être aujourd’hui House of Cards comme une série HBO ou Fox.
Il faut donc cesser de croire que Netflix possède la recette miracle pour faire de bonnes séries. Leurs équipes vont évidemment utiliser toutes les données à leur portée pour réduire le risque d’investir dans une série qui n’intéressera personne. Mais cela ne les empêchera pas de parier sur le mauvais cheval. Si sa première Série Originale a été un homerun pour Netflix, toutes leurs séries qui ont suivi n’ont pas connu le même succès. Le prix à payer quand vous multipliez les paris sur des concepts différents ou des storytellers locaux.
Netflix : grandir grâce aux contenus
Après avoir passé les 9 premières années à progressivement étendre l’accès de Netflix à 60 pays, le service annonçait le 6 janvier dernier sa disponibilité globale dans plus de 190 pays. Son objectif : faire de Netflix le nouveau réseau global de télévision via internet. Ce nouveau pari demande-t-il une nouvelle stratégie d’expansion ? C’est ce que nous avons demandé à Reed Hastings lors de son dernier passage à Paris. En effet, là où Netflix avait pour habitude de mettre en place un bureau commercial dans le nouveau pays qu’il ciblait, comment allait-il gérer ce développement global ? Allait-il attendre d’analyser les pays à forte traction pour y implanter un nouveau bureau pour accompagner cette croissance ?
Hastings secoua doucement la tête de droite à gauche : à ce stade du développement de Netflix, la nécessité d’ouvrir de nouveaux bureaux par pays ne se révèle pas utile. Il prendra d’ailleurs l’exemple de l’Amérique du Sud pour appuyer son propos. Netflix a beau posséder un bureau à São Paulo, leur croissance au Brésil n’est absolument pas plus rapide qu’en Argentine ou au Chili. La présence d’un bureau dans le pays n’est donc pas nécessairement un accélérateur de croissance.
S’agissait-il d’une nécessité que d’avoir un bureau en France, ce marché réputé comme difficile de part son exception culturelle ? Certainement, et Netflix possédait ainsi un bureau en France depuis 2014, avec moins de 10 employés. Mais au vu de la nouvelle stratégie d’expansion globale, son existence ne semblait plus être une nécessité absolue. Cela ne signifie pas non plus l’abandon de la France, la totalité des employés français déménagent actuellement vers Amsterdam pour poursuivre leurs missions depuis le hub européen de Netflix.
Le service de streaming préfère ainsi se concentrer sur l’investissement qui aura le plus grand impact de manière globale : les contenus.
" Ce qui importe le plus à nos utilisateurs, c’est d’avoir accès à d’excellents contenus. C’est pourquoi nous investissons énormément dans la production de séries et films originaux "
Ted Sarandos
Voici le nouveau focus de la compagnie : grandir grâce aux contenus. Carlos Gomez Uribe, VP Product Innovation, ajoutera une idée nouvelle en décrivant l’objectif final de Netflix comme étant de trouver les meilleurs storytellers à travers le monde pour les aider à faire voyager leurs histoires locales. Pour lui, il y a tout simplement énormément de talents qui n’ont pas pu émerger aujourd’hui parce qu’ils n’avaient pas été en mesure de trouver une audience assez large.
Cette philosophie va également les acquitter de la recherche permanente du prochain blockbusters, pour leur permettre d’investir dans des contenus de « niche » qui atteindront leur public quand ils seront offerts aux 81 millions d’abonnés Netflix à travers le monde (chiffre Avril 2016). Cela a été le cas pour Virunga, documentaire sur le combat pour la survie des gorilles, qui a finalement été nommé aux Oscars.
Netflix a fait un premier pas vers cette nouvelle orientation il y a 3 ans maintenant, alors qu’ils allaient bientôt sortir leur première série originale. Cette année, ce sont 35 Netflix Originals qui verront le jour, et ce chiffre devrait encore doubler en 2017. L’occasion de donner la parole à de nombreux storytellers à travers le monde, et de les gratifier d’une exposition simultanée dans 190 pays.
« Netflix : c’est le retour du cinéma d’auteurs », pour Ricky Gervais, acteur, réalisateur et humoriste (notamment créateur de la série UK The Office). Mais là où le cinéma d’auteurs était habituellement considéré comme élitiste et à budget réduit, en opposition au cinéma commercial, Netflix apporte une solution « sans compromis » pour lui. Il confesse avoir eu l’habitude d’aller sur des networks plus modestes pour avoir la liberté artistique, signant une série sur BBC2 plutôt que BBC1, HBO plutôt que NBC. Pour lui, Netflix est aujourd’hui la meilleure alternative pour les créateurs : avec à la fois une très grande liberté, et l’accès à une très large audience.