Le 30 juin dernier, un rapport a été remis au Premier ministre. Publié par le Conseil d’analyse économique et corédigé par Marie Ekeland, Augustin Landier et Jean Tirole, l’intitulé est sans équivoque : « Renforcer le capital-risque français ». La Banque Publique d’Investissement définit le capital-risque comme le financement de « jeunes entreprises innovantes, sous une forme de participation au capital. Les investisseurs apportent du capital en fonds propres à une entreprise considérée comme étant innovante et/ ou avec un fort potentiel de développement et de retour sur investissement ».
Ledit rapport fait un état des lieux inquiétant du capital-risque dans l’hexagone et insiste sur la nécessité de le renforcer. S’il n’est pas nouveau que la réglementation française en la matière manque de flexibilité et que l’aspect international n’est pas suffisamment privilégié, de nouvelles données sont à prendre en considération. En effet, le rapport constate que les investissements sont plus faibles en France qu’en Europe, notamment dans les phases d’incubation et d’amorçage des startups. Cette caractéristique semble s’expliquer par le peu de business angels présents en France et le faible montant de leurs investissements.
Le rapport attire également l’attention sur les déficiences d’un « marché des sorties et introductions en Bourse moins dynamique en Europe qu’aux Etats-Unis » et « des performances affichées des fonds de capital-risque français [inférieures] à la moyenne européenne ». Plusieurs solutions sont préconisées, au titre desquelles notamment, une plus grande intervention publique dans ce domaine.
L’investissement public, l’alpha et l’omega de la croissance ?
Selon le rapport, l’intensification de l’investissement public permettrait de lisser et de stabiliser l’investissement dans le temps mais également de générer des externalités par subventions en recherche et développement. A ce titre, les programmes d’investissement public américain devraient être pris en exemple. En France, la participation publique au capital-risque est importante. A cet égard, la Banque Publique d’Investissement est l’investisseur européen le plus actif pour le premier trimestre 2016. Dès lors, la question est de savoir si l’augmentation d’un investissement public déjà au plus haut en France est nécessairement un facteur d’augmentation du financement des startups. Nous pouvons en douter.
De plus, le rapport met à juste titre en garde contre les méfaits d’un investissement public excessif. En effet, l’Etat n’a qu’une compétence limitée pour sélectionner les projets innovants. La problématique s’articule donc d’avantage celle de l’encadrement de l’investissement public que de son intensification. En effet, un investissement public mal encadré pourrait conduire à l’éviction de certains investisseurs privés. Le « private equity » français peut-il continuer à faire exception en Europe, en vivant sous perfusion de la Banque publique d'investissement ? La question reste posée.
La Banque Publique d’Investissement n’est pas non plus à l’abri des pressions politiques. En effet, le bon fonctionnement de cette institution tient plus à la qualité de l’équipe dirigeante qu’aux institutions en elles-mêmes. Le rapport préconise de rendre cette institution plus indépendante et solide afin qu’elle puisse perdurer dans le temps. Il est à cet égard nécessaire de clarifier ses missions et son fonctionnement global. Toutefois, le rôle des pouvoirs publics ne devrait pas selon nous se limiter à renforcer le rôle de la Banque Publique d’Investissement.
La création du statut de jeune entreprise de croissance
Nous plaidons pour la mise en place d’un statut législatif et réglementaire spécifique aux startups, à l’instar de ce qui a été mis en place au sein de la Silicon Valley, pôle référence des industries numériques de pointe ou en Israël, la nation-startup. En réalité, il s’agit de s’attacher davantage à la personne de l’entrepreneur plutôt qu’au secteur d’activité dans lequel il évolue. Le secteur du numérique ne doit pas être identifié à un secteur d’activité particulier puisque tous les secteurs ont désormais vocation à évoluer dans un écosystème numérique...Au contraire, il s’agit ici de s’attacher au statut du startupeur ou à celui de la startup.
Actuellement, le statut de la jeune entreprise dite innovante est limité. Il faudrait selon nous en conserver les fondamentaux mais en étendre considérablement la portée en créant un nouveau statut : la jeune entreprise de croissance. Le statut concernerait les entreprises de croissance, quel que soit l’activité exercée et peu importe que celle-ci s’accompagne ou non d’une activité de recherche et développement. La jeune entreprise de croissance bénéficierait d’exonérations fiscales et sociales pendant cinq ans, mais également d’un statut juridique particulier attaché à ses travailleurs lui permettant d’éviter toute requalification en contrat de travail salarié.
Nous pourrions également imaginer que l’Etat apporte son concours financier, par exemple en finançant les frais administratifs relatifs à la création de la structure et au dépôt de la marque ou encore en se portant caution auprès des banques pour l’octroi de prêts comme elle le fait à l’heure actuelle mais sur des critères beaucoup plus larges et automatisés. Ainsi, la jeune entreprise limiterait ses coûts de création, bénéficierait d’une aide pour sa croissance et pourrait faire appel dès le commencement de son activité à des autoentrepreneurs, sans risquer une requalification en contrat de travail et envisager à terme de recourir à des salariés sans acquitter de lourdes charges sociales.
La création de zones franches numériques
La jeune entreprise de croissance pourrait également jouir de zones de test dans lesquelles elle pourrait bénéficier d’un modèle juridique dérogatoire. Les dispositifs d’expérimentation pourraient prendre plusieurs formes :
- La création de zones franches numériques permettant à des startups de bénéficier d’une fiscalité avantageuse postérieurement aux cinq premières années d’existence ;
- La mise en place de contraintes administratives réduites ;
- L’établissement de modèles dérogatoires aux réglementations existantes. Il suffirait à la jeune entreprise innovante de faire une demande spéciale à une autorité administrative indépendante créée pour les besoins de la cause et justifiant de la nécessiter de tester son modèle économique en sollicitant explicitement une dérogation au droit applicable limitée dans le temps et dans l’espace.
A titre d’illustration, nous pourrions imaginer un « fair use » à la française qui apporterait des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre.
Un renforcement de l’attractivité de l’investissement privé
Une autre solution passe par le renforcement de l’attractivité de l’investissement privé, en encourageant les investissements dans des jeunes entreprises et en évitant l'exil fiscal des business angels. Cela passe notamment par la création d’un « compte entrepreneur investisseur » que les auteurs appellent de leurs vœux. Selon eux, ce compte devra être « déplafonné, limité dans le temps, dans les PME de moins de dix ans, y compris les startups ».
En effet, s’agissant de la fiscalité française largement décriée à l’international, le rapport préconise de rendre plus compréhensible la fiscalité applicable aux investisseurs étrangers10 et de « veiller à ce que le parcours fiscal entrepreneurial incite au réinvestissement des plus- values générées dans l’écosystème ». Le compte entrepreneur investisseur permettrait ainsi d’alléger la fiscalité, encourageant de facto l’investissement. Cet appel a été entendu puisque ce mécanisme devrait être présenté à l'automne dans le cadre du projet de loi de finances 2017. On ne peut que saluer sa future mise en place, tout en regrettant la tardiveté de sa mise en œuvre.
Selon le Ministre de l’Economie, ce véhicule d'investissement « permet à celles et ceux qui ont réussi par leur entreprise de réinvestir sans frottement fiscal, avec une sécurité sur l'impôt sur le revenu et sur l'ISF ». En effet, la France fait face à une forte pression fiscale qui limite drastiquement les opérations de réinvestissement.
En pratique, un entrepreneur souhaitant céder sa structure dispose de deux alternatives : soit il crée une holding, ce qui lui permet de compenser les plus et les moins-values de ses investissements mais dont le résultat reste soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune, soit il investit en propre, sans être soumis audit impôt, mais il ne peut pas compenser ses plus-values et moins-values dans la durée. Un choix cornélien, alors même que le compte épargne investisseur permettrait justement de conserver les avantages des deux formules.
L’autre bémol vient du peu d’implication des universités françaises relativement à l’investissement dans le domaine de l’innovation et des startups. Cette conclusion est selon à nous à nuancer, tant nous constatons que les écoles de commerce sont à la pointe de l’investissement en la matière, avec la création de pôles d’excellence et d’incubateurs de grande qualité.
Enfin, le rapport recommande d’encourager le crowdfunding en le rendant plus accessible. Il conviendra d’être agile d’un point de vue réglementaire pour accompagner son développement tout en veillant à la protection des investisseurs individuels. Tout un programme.