Gagner de l’argent en se baladant dans les magasins, c’est la proposition inédite de Clic and Walk. Cette startup devenue célèbre propose aux utilisateurs de leur donner une mission : déambuler dans les allées de magasins pour vérifier la conformité des produits et leur mise à disposition. L’entreprise est dans l’œil du cyclone depuis que l’office central du travail illégal a considéré qu’il s’agissait de ... travail dissimulé ! Retour sur une affaire aux enjeux juridiques proches des enjeux d'uber.

L’affaire Clic and Walk survenue le 21 juin dernier fait écho au combat opposant la société Uber à l’URSSAF. Spécialisée dans le « crowdmarketing », cette société a pour activité la fourniture de données marketing. A cette fin, Clic and Walk fait appel directement aux consommateurs, les ClicWalkers, qui prélèvent ces informations en magasin en l’échange d’une rétribution financière.

Une approche inédite et un succès grandissant

L’entreprise cliente (parmi lesquelles figurent Auchan, l’Oréal, La Halle, ou encore Castorama) peut notamment requérir des données concernant : la présence, l’absence, la visibilité et le prix de son produit en magasin, les éventuelles promotions existantes sur son produit, ou encore plus largement le ressenti du consommateur.

Clic and Walk confie aux utilisateurs de l’application inscrits sur cette plateforme le soin de se renseigner sur ces différents points en se rendant directement en magasin. En contrepartie, Clic and Walk les rémunère quelques euros (de 1 à 6 euros par mission, cette rétribution pouvant aller jusqu’à 1500/2000 euros par an pour les utilisateurs chevronnés).

Cette jeune pousse ch’ti, fondée en 2012, rencontre un vif succès. Primée championne d’Europe de l’innovation, elle figure également parmi les dix entreprises les plus innovantes du monde en 2014 (Classement réalisé par l’UNESCO et l’observatoire Netexplo). Elle est implantée en France, en Angleterre et en Allemagne et projette de mettre le cap prochainement sur d’autres pays européens.

Tout allait pour le mieux pour cette startup qui avait même réalisé une levée de fonds de 3,5 millions d’euros en 2015.

clic an walk team

Toutefois, le 21 juin dernier, Clic and Walk a été épinglé pour « travail dissimulé » à l’initiative de l’office central de lutte contre le travail illégal. Dépendant de la gendarmerie nationale, ce service composé d’une URSSAF, de membres de l’inspection du travail, de la police ou encore de la gendarmerie a principalement des pouvoirs d’enquête et d’investigation. Les locaux de l’entreprise ont été perquisitionnés et l’entreprise fait désormais l’objet d’une enquête préliminaire. L’enjeu se concentre sur la qualification des ClicWalkers : travailleurs indépendants ou salariés ?

Economie collaborative : Travailleurs indépendants ou salariés ?

Au nombre de 300 000 en Europe dont 160 000 en France, ces derniers n’ont pour le moment pas le statut de salarié et le régime afférant, ce que conteste l’office central de lutte contre le travail illégal. Prohibé par l’article L.8221-1 du code du travail, le travail dissimulé est défini de la manière suivante par l’article L.8221-3 du code du travail : « ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se [soustraie est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité [...] de prestation de services intentionnellement à ses obligations: immatriculation au répertoire des métiers ou déclarations administratives exigées] ».

L’article L.8221-5 du code du travail énumère les hypothèses dans lesquelles l’employeur est réputé se rendre coupable de travail dissimulé. Sur ce point, l’article 6.4 des conditions générales d’utilisation de Clic and Walk exonère la société de toute responsabilité en prévoyant qu’« il est de la responsabilité des ClicWalkers d’adopter le statut juridique le plus pertinent dès lors que les Missions seraient susceptibles de leur générer des revenus et, le cas échéant de procéder aux déclarations administratives et fiscales qui s’imposent à eux au regard de la Législation applicable ».

Pour être qualifiée de salarié, une personne doit effectuer une prestation de services (1), moyennant rémunération (2), et sous un lien de subordination (3).

La jeune pousse se défend de salarier les ClicWalkers. En effet, les conditions générales d’utilisation du site prévoient à l’article 4 qu’« en toutes hypothèses, le ClicWalker n’est soumis à aucun lien de subordination ». Par ailleurs, l’utilisateur de l’application « a la qualité d’un prestataire de services libre et autonome dans l’exécution de ses Missions, réalisées de manière occasionnelle ».

Dans la relation existante entre Clic and Walk et les ClicWalkers, la réalisation d’une prestation de service contre rémunération est clairement identifiée puisque l’article 4 des conditions générales d’utilisation prévoit que : « à l'issue de ce délai, si la Mission a été exécutée conformément aux spécificités techniques de l’offre de mission, le compte du ClicWalker sera crédité du montant annoncé dans cette offre ».  Les spécificités techniques explicitées à l’article 5 pourraient éventuellement s’apparenter à un lien de subordination du fait des directives données par Clic and Walk aux utilisateurs.

Cet article prévoit en effet que chaque mission contient des instructions à suivre (prendre la photo du produit en gros plan ou non, avec son prix, effectuer la mission tel jour dans tel magasin, etc). Par ailleurs, Clic and Walk se réserve le droit d’apprécier les données récoltées eu égard, par exemple, à la qualité des photos.

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A ce titre, l’existence d’un lien de subordination entre Clic and Walk et les ClicWalkers pourrait être potentiellement reconnu puisque la Cour de cassation (Cass. Soc. 6 mai 2015 n°13- 27535), a récemment précisé que : « Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; (...) [comme par exemple] le respect d'un planning quotidien précis établi par [l’employeur] [le fait que le salarié soit tenu] d'assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales, [ou que l’employeur assigne à des salariés] des objectifs de chiffre d'affaires annuel ».

Toutefois, Frédérique Grigolato, CEO et cofondatrice de la startup, qui se considère comme une « victime collatérale de la guerre entre Uber et l’Etat », ne pense pas que cette affaire aura d’importantes conséquences compte tenu du cadre légal dans lequel évolue la société. Cette dernière a par ailleurs reçu le soutien de la Banque Publique d’Investissement (la BPI).

Cette affaire démontre que le cadre juridique de l’économie collaborative doit certainement être largement repensé au vu du succès croissant que rencontrent les startups qui évoluent dans ce domaine et des freins législatifs et réglementaires auxquels ils font régulièrement face.