Dès l’annonce de la création de ce salon de la Tech par les Echos et Publicis, les positions se sont affirmées, parfois violemment au sein de l'écosystème. Il y avait les Pour, évidemment, les mitigés qui attendaient de voir et les farouchement Contre qui n’ont pas hésité à se fendre d’un tweet assassin ou d’un post Facebook grogneur. « Je n'ai jamais entendu autant de polémiques en amont d'un événement ! confirme Rachel Vanier, directrice de la communication de Station F. Beaucoup d'acteurs de l'écosystème "startup" y ont projeté leurs envies, notamment celle d’avoir un Websummit à la française, mais Vivatech s'est positionné dès le début sur les corporates et la "tech at large" »
" Le lien grands groupes-startups est très marqué en France. Cet événement correspondait donc à cette spécificité française "
Axelle Tessandier, fondatrice d'AxlAgency
Un positionnement particulier, très axé sur les grands groupes, qui a en effet été pointé du doigt. Au détour des allées, il a quelques fois été fait la remarque que le salon tenait plus du « safari pour grands comptes » que d’une vitrine de choix pour les startups. Un constat que ne partage pas du tout Axelle Tessandier : « Le lien grands groupes-startups est très marqué en France, j’ai habité six ans dans la Silicon Valley, où l’écosystème s’organise très différemment. Cet événement correspondait donc à cette spécificité française. J’ai longtemps pensé que cela pouvait être un handicap mais je finis par me dire qu’au lieu d’être la prochaine Silicon Valley en répliquant un modèle qui n’est pas le nôtre, nous devrions juste être le hub d’innovation en cultivant notre singularité, ce qui fait l’ADN de notre tissu économique et d’innovation. Et en cultivant nos talents, nombreux ».
Rachel Vanier de son côté, voit dans cette démarche une bonne solution pour les jeunes entreprises « d'accéder à des clients ou des partenaires » mais met en revanche en garde les plus grosses entreprises, « celles qui veulent proposer leur propre produit et accéder à des parts de marché importantes » qui risqueraient de « se faire phagocyter par les "corporates" ».
Dans un post Facebook, Olivier Ezratty, auteur d’Opinions Libres, regrette quant à lui que les startups n’aient « pas droit de cité dans la grande salle plénière. Seules les grandes entreprises, et surtout les sponsors, y ont droit. On a rien sans rien, ce sont eux qui financent l’événement ! ». Mais si les grands groupes étaient les plus visibles sur scène, ce sont bien quelques pépites qui ont bénéficié de l’attention médiatique. « La première startup qui me vient à l’esprit c’est Sea Bubble… que je ne connaissais pas avant Vivatech, qui a fait le buzz avec le passage de Macron et son objet bien identifiable. Cette startup a-t-elle eu l’impression de servir de faire valoir aux grands groupes ? Bien sur que non… Elle a réussi son pari », note ainsi Axelle Tessandier.
Pour montrer l’intérêt de cette formule axée sur les grands groupes, Publicis, une fois les portes du salon fermées, a rapidement envoyé un communiqué annonçant le succès de cette première édition, indiquant également que 10 millions d’euros auraient été distribués pendant l’événement aux startups. Si il est difficile de vérifier ce montant, les autres chiffres avancés peuvent être remis en cause : Les Échos Start annoncent plus de 5000 startups présentes, quand dans les faits, l’ensemble des exposants (grands groupes compris) dépasse à peine le millier. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Une formule qui fonctionne mais qui n’atteint pas son ambition internationale
Tout d’abord, la formule de faire payer les grands comptes pour permettre aux startups d’exposer semble être la bonne. Si les tickets pour les sponsors pouvaient grimper jusqu’à plusieurs centaines de milliers d'euros, cela a permis à la majorité des startups d’être invitées par ces derniers et d’être mises en avant sans débourser un sou. En revanche, les jeunes entreprises qui n’étaient pas invitées, ont dû débourser 3 000 euros pour avoir leur propre espace de 9 mètres carrés. On est loin des 67 500 euros pour un stand de même taille sur le Web Summit (comme le rapporte Petit Web), même si, on le sait et on le défend, nul événement ne devrait baser son business model sur des startups qui payent pour avoir de la visibilité. Et si certains regrettaient le côté safari, la scénographie était particulièrement réussie et l’agencement des stands était bien loin de la foire au bétail, comparé à d'autres événements tech européens. Quant à la journée grand public, l'intention est louable mais une telle ouverture aurait certainement demandé plus de hardware et pourquoi pas même des mini-conférences accessibles à tous ?
On ne peut considérer cet événement, qui s’est monté en quelques mois et qui a dû donner pas mal de sueurs froides aux organisateurs, autrement que comme un galop d’essai, pour valider l’intérêt de tous et envoyer un premier signal. « On continue un peu à se parler entre nous, remarque ainsi Axelle Tessandier. C’est aussi aux autres qu’il faut raconter notre histoire, que l’écosystème bouge etc. sans avoir besoin d’aller constamment répéter « la France a changé, la France a changé ». Non, que nos actes, produits, politiques publiques, et des événements comme celui-ci parlent pour nous. Walter Payton dit ”When you’re good at something, you’ll tell everyone. When you’re great at something, they’ll tell you.” Ben voilà. »
Sauf que force est de constater que s’il y a eu énormément de communication autour de l’événement, elle émanait principalement des organisateurs. À l’étranger, on a pu noter un silence radio inquiétant. Mais après tout, il ne suffit que d'un article n’est-ce pas ? Aussi, si les papiers de la presse étrangère n’ont pas été légion, un étonnant papier de TechCrunch, signé Mike Butcher himself, encense l’initiative : « Sans aucune expérience dans l’événementiel tech, cela semble compliqué de construire quelque chose de vraiment imposant en France, écrit-il. Mais c’est pourtant ce que Maurice Levy a réussi à faire, en partant de rien, et en collaboration avec Les Echos. Viva Technology Paris, ou Vivatech, est en quelque sorte comparable à TechCrunch Disrupt, avec toutefois un engagement plus fort du gouvernement et des corporate. » Un TechCrunch Disrupt donc… Pourquoi pas après tout ? Il manque seulement quelques ingrédients à la recette...
« La vraie piste de développement est à mon sens internationale, puisqu'on était encore dans un environnement très franco-français. D'évidence, cela n'a pas la portée d'un WebSummit ou d'un Slush sur l'écosystème startups européen, mais pour une première pierre, c'est à saluer et à encourager », explique Adrien Poggetti, directeur général d'Atlantic 2.0 et de NantesTech. Si l’on a pu croiser quelques startups étrangères et que les conférences, ainsi que les pitchs de startups sur les petites scènes disséminées dans le grand Hall Porte de Versailles étaient en anglais, beaucoup regrettent en effet cet entre-soi que l’on retrouve dans bon nombre d’événements français – même si eux n'affichent pas, c'est vrai, pour ambition principale de rayonner à l’international.
" Il n’y a pas de hub d’innovation qui ne se construit que sur des talents locaux. Il faudra donc que l’on attire les startups de l’Europe entière, et au-delà. Vivatech peut clairement devenir une référence européenne mais pour cela l'événement doit prendre de l'ampleur, voire-même se produire dans plusieurs pays "
Axelle Tessandier
En Europe, la scène événementielle tech est déjà bien encombrée par de grosses machines comme Slush ou le WebSummit, « il y aussi de nouveaux acteurs très innovants à Berlin par exemple... Il va falloir faire preuve d'imagination et s'investir toute l'année dans l'écosystème pour y arriver », prévient Rachel Vanier. Un investissement sur la durée qui pourrait également s’accompagner d’une démarche plus ouverte. Quitte à mettre en avant les startups et à montrer leur intérêt pour l’écosystème, pourquoi Publicis et Les Échos n’ont-ils pas associé, dès la conception de l’événements nos jeunes pousses françaises ?
" L’écosystème tech se bat pour exister depuis des années et il a énormément de choses à proposer. Je suis convaincue que, avec des moyens aussi importants, si le milieu startup s'en était mêlé, ils auraient réussi à faire des miracles (c'est ce que font les startups!) "
Rachel Vanier