Les Etats-Unis sont parfois un passage obligé pour voir grossir son entreprise : accès à des capitaux plus importants, marché bien plus vaste et parfois plus appétant, le pays de Zuckerberg et Jobs attire. Pourtant, le gap culturel est une réalité et pour préparer les jeunes pousses à ne pas se casser les dents sur un rêve américain qui a vécu, Business France et Bpifrance ont mis au point Ubi i/o : un programme soutenu de 10 semaines pour aider les startups françaises à accélérer leur lancement sur le marché américain.
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Les Français installés dans la Valley ne le cachent pas : il peut y être difficile d'y faire du business. Mettons de côté le french bashing, qui ne semble pas vraiment y avoir cours, pour se concentrer sur le cœur du problème : la culture et l'éducation.
Bon nombre d'entrepreneurs français prennent le même exemple pour souligner la différence fondamentale qui existe entre les deux pays : aux États-Unis, les enfants apprennent à pitcher dès leur plus jeune âge, « ma fille de 11 ans a dû faire un business plan pour sa startup imaginaire », raconte Jérôme Ternynck, fondateur de SmartRecruiters. « Mon fils, en maternelle, a même dû lever des fonds pour son école, sur le moment c'est presque choquant pour nous et puis on se dit que c'est bénéfique et que ça leur donne une certaine confiance », explique quant à lui Samir Addamine, fondateur de Follow Analytics installé dans la Valley depuis deux ans.
Dis-moi comment tu pitches, je te dirai qui tu es
Si les anecdotes peuvent prêter à sourire, elles reflètent une réalité à laquelle les Français ne sont pas toujours bien préparés : les Américains sont des killers quand il s’agit de se vendre. « Ici sur 10 candidats vous en aurez 9 qui savent se vendre pour 1 compétent, en France c’est plutôt l’inverse », remarque Jérôme Ternynck, qui a fait du recrutement son business. Si les entrepreneurs français doivent mener une véritable enquête sur leurs potentielles futures recrues américaines (ce qui semble être monnaie courante) elles doivent surtout se mettre à niveau lorsqu’il s’agit d’aller convaincre des clients ou les investisseurs. Et c’est pourquoi le programme Ubi i/o créé il y a deux ans par Business France (missionné par les pouvoirs publics) et Bpifrance à San Francisco (ainsi qu'à New York depuis un an) accorde une grande place à l'art du pitch.
Première épreuve pour les 9 entreprises sélectionnées pour suivre ce programme intense de 10 semaines : passer entre les mains de Laura Elmore, coach émérite de grands patrons, notamment de Steve Jobs. Et son jugement est bien souvent très tranché. "La première fois qu'elle nous a vus elle nous a dit qu'il fallait tout recommencer de zéro" se rappelle Guillaume Delaporte, cofondateur d'OpenIO, startup de la promotion 2016 d'Ubi i/o. Après des semaines de programme, Laura Elmore évalue les progrès de ses "apprentis" lors du demo day, à une semaine de la fin d'Ubi i/o : "vous savez quelle est la différence entre un entrepreneur français et un entrepreneur américain ? demande-t-elle amusée. 30 slides ! L'erreur la plus commune des Français étant de finir par présenter son équipe. Mais ce qu'il faut mettre en avant ce sont des chiffres ! Les gens devant lesquels vous pitchez veulent savoir ce que vous cherchez et comment vous allez pouvoir faire du business ensemble et c'est ce que les startups d'Ubi i/o ont pratiquement toutes fait à l'issue du programme ! »
Aux États-Unis, il faut donc y aller franco. « Il faut parler de manière plus concrète, observe Stéphane Alisse, directeur du programme Ubi i/o, le client connaît la technologie, il veut tout de suite entendre quels sont les bénéfices, quel est le ROI, et connaître les KPIs. » Selon Laura Elmore, les entrepreneurs doivent même « raisonner comme les journalistes et penser leur discours comme si c’était un enchaînement de titres d’articles. »
Faire en 10 semaines ce qu'une startup seule aurait fait en 10 mois
Chaque entreprise qui participe au programme débourse 15 000 euros pour permettre à son fondateur, ou à l’un des cofondateurs, de prendre part à cet intense programme qui mêle conseil en stratégie, mentoring personnalisé et mises en relation avec de potentiels partenaires, clients ou investisseurs. Cette année, les startupers avaient élu domicile chez Galvanize, l'un des espaces de coworking les plus en vue de San Francisco, dans le quartier très prisé de SoMa (l'équivalent du Sentier à Paris).
« Nous ne faisons venir que les décisionnaires car il faut parfois effectuer des ajustements critiques », explique Stéphane Alisse. Et pour s’adapter à ce marché bien plus véloce que tous les autres, les équipes de Business France et de Bpifrance ont mis au point un programme « commando style de 10 semaines sous adrénaline » pour aider les sociétés non pas à s’implanter sur le marché américain mais à rapidement prendre le plus de parts de marché possible. Et pour ce faire, le programme Ubi i/o repose sur des « trade advisors » qui se consacrent tous à une startup et en maximisent le temps sur place. Pour cette édition, plus de 130 rendez-vous business ont ainsi été organisés avec de potentiels partenaires ou clients.
Mais le plus important, c'est d’aider les startups à «américaniser leur marketing, poursuit Stéphane Alisse. Le modèle classique d'une startup à l'européenne c’est de se dire : j’ai développé une magnifique technologie maintenant je vais en faire un produit et je vais trouver mon marché. Ici, dans la Silicon Valley c’est plutôt : j'ai repéré un problème, je lève des fonds et je forme une équipe pour adresser ce besoin. » Aux États-Unis, la R&D est donc financée par les VC. Une différence de taille qui compte énormément dans la course contre la montre qui se joue dans la Silicon Valley, qui voit chaque jour débarquer son lot d’entrepreneurs du monde entier. "Si l'Israël est un pays d'innovation c'est aussi un pays où il n'y a pas de marché, observe ainsi Romain Serman directeur de Bpifrance USA, les entrepreneurs viennent donc tous dans la Silicon Valley pour trouver leur marché, et ça se passe comme ça pour tous les autres pays. Ça fait 40 ans que la Silicon Valley fait de la Tech et attire les innovations".
La concurrence est donc bien plus féroce qu’ailleurs, et pour « augmenter la pertinence » des startupers, comme Laura Elmore aime qualifier son rôle auprès des entrepreneurs, le programme Ubi i/o revoit complètement la copie des startups participantes tout au long du programme. « Nous travaillons sur l’offre, sur la bonne stratégie marketing puis sur la bonne stratégie commerciale. Le coaching est très important », observe Stéphane Alisse. D’ailleurs 70% du programme est entièrement personnalisé. « Nous avons appris des choses administratives, juridique et business ultra importantes, estime Jerem Febvre, cofondateur de Sublim Skinz passé par Ubi i/o en 2014. On ne fait pas du business comme en France, il faut donc apprendre à contacter les gens. Ici, c’est rare de signer un deal avec quelqu’un sans l’avoir relancé 7 ou 8 fois. » Mais ça, comment le savoir sans l’avoir vécu ?
65 mentors jouent ainsi leur rôle de grand frère et distillent bons conseils et retour d’expérience aux sociétés du programme. Et sans langue de bois. « On ne vous demande pas d'être profitable mais d'aller prendre des parts de marché », « Il faut absolument avoir un avocat avant de vous lancer », « à partir du moment où vous levez aux Etats-Unis, vous avez un nouveau patron : le board », autant de conseils, prodigués par Samir Addamine lors d’un workshop, que les startupers ont tout intérêt à prendre en considération. « En France, ça fait 5 ans qu’on fait de la tech, ici ça fait 40 ans. Ils connaissent tout, observe Romain Serman. Il y a des dynasties d’investisseurs et les entrepreneurs apprennent, développent leur boite, se plantent et recommencent, c’est un cycle sans fin.»
L’échec n’est qu’une étape
Paul Twombly, « high-tech veteran » de la Silicon Valley enfonce le clou : « Ici, l’échec ne va pas vous discréditer. La seule chose que je demande aux personnes qui échouent c’est ce qu’elles en retirent et ce qu’elles ont appris. » L'échec, ultime étape avant la réussite ? C'est en tout cas un vrai point qui différencie nos deux cultures. « Ubi i/o joue un rôle très important : celui de combler le gap culturel qui existe en apprenant aux entrepreneurs à désapprendre leurs réflexes français », estime ainsi Henri Deshays, vice-président de l’incubateur Start X.
Les réflexes français, ou plus simplement non-américains. D’ailleurs, dans ce pays pourtant prompt au « je t’aime moi non plus » avec l’Hexagone, être Français n’est d’aucune aide, pas plus que ce n’est un frein d'ailleurs.
" Être Français à peu d'impact sur l'avenir personnel d'une société. Il y a un tel état d’esprit ici que si tu as un minimum de pertinence sur ton sujet les gens seront toujours à l'écoute. Ils sont très pragmatiques. Il y a beaucoup de belles réussites et ils ne veulent pas se fermer de portes et passer à côté du prochain Facebook "
Jerem Febvre
Mais si l’échec n’est pas un problème, il est surprenant d’entendre dire qu’il faut l’avoir fait « proprement ». « C’est un environnement d’excellence, un environnement dans lequel les meilleurs talents du monde viennent travailler, reçoivent des sommes d’argent illimitées et se font tuer à la moindre erreur, ce n’est pas un environnement qui tolère la médiocrité ». Un constat presque glaçant que tire Jérome Ternynck et qui pourtant reflète ce que bon nombre d’interlocuteurs rappellent : l’échec est formateur, à condition d'être tombé en ayant tout donné. Abandonner ne semble pas être inscrit dans le vocabulaire de la Silicon Valley. Et ça ne semble pas décourager nos jeunes pousses françaises : sur les 16 alumnis du programme Ubi i/o, 14 sont implantées aux Etats-Unis et de jolis projets prennent déjà forme pour les startups qui viennent tout juste de finir cette saison. Plusieurs gros contrats ont été signés, SevenHugs a levé 13 millions d'euros et il se murmure que CodinGame aurait noué un partenariat avec la pépite la plus en vue de la ville (indice : c’est aussi l’une des plus controversées en France).