Après avoir exploré différents procédés de gamification et étudié comment la gratification et les objectifs motivent l’utilisateur, intéressons-nous au profil du joueur-utilisateur et à l'intérêt de mettre en valeur sa progression.
Dans l’univers du jeu, il est possible de dégager différents profils types de joueur en fonction de leur comportement et de leur sensibilité à certains mécanismes. Évidemment l'intérêt est d’identifier ces mécanismes et profils afin de pouvoir les réutiliser dans un système gamifié. L’une des typologies de joueur les plus connues et à laquelle nous allons faire référence tout au long de cette article est la typologie de Bartle. Créée en 1996, elle classe les joueurs en 4 grandes catégories:
- Les killers qui comme leur nom l’indique cherchent à triompher des autres. Ils ne veulent pas gagner mais battre. La mise en place de classements et de systèmes de duels sont des mécaniques qui les touchent fortement.
- Les achievers s’appliquent avant tout à remplir les quêtes fixées, ce sont des collectionneurs. Les dispositifs avec des badges et des objectifs quotidiens sont très efficaces sur eux.
- Les socializers sont motivés par l'interaction avec la communauté. La présence de systèmes de friend lists, groupes, chats et forums est une grande source d’engagement en ce qui les concerne.
- Les explorers aiment sortir des sentiers battus et découvrir les moindres recoins d’un jeu. Ils sont particulièrement susceptible à la nouveauté et aux updates.
Dans les jeux mobile free2Play, il est également possible de dégager un lien entre ces profils et les mécaniques de monétisation. En effet, les killers et achievers qui recherchent la performance et veulent compléter tous les objectifs sont plus enclins à dépenser et être monétisés. Toutefois ils sont également les profils les plus rares, la grande majorité des joueurs ayant un profil de socializers ou explorers.
L’exemple de Waze
Cette typologie ancrée dans le domaine du jeu peut aussi se retrouver dans les applications gamifiées. Prenons le cas de l’une des plus connues d’entre elles, Waze (rachetée par google). Application de trafic et de navigation communautaire, Waze a pour objectif d’engager les utilisateurs à contribuer. Ainsi de part sa nature, l’application est plutôt dédiée aux socializers mais cible tout de même les autres audiences.
Tout comme un jeu Free2Play, l’application débute par un tutoriel de présentation dans lequel deux choses sont tout de suite mises en avant: i) la présence de niveaux (bébé wazeur pour débuter) sous entend une progression du statut du joueur avec sa montée en compétence (parfait pour killers et explorers); ii) la mise en avant des socializers avec la formule “Bienvenue dans la communauté waze”.
Rapidement, un classement et des points émergent également dans l’utilisation de la plateforme pour engager les killers. Ces mêmes points et niveaux permettent de débloquer de nouveaux personnages et modules qui ouvrent le champ à la collectionnite pour les achievers. Enfin, les socializers s’y retrouvent dans la possibilité d’intégrer des équipes, envoyer des messages, créer des signalisations et commenter celles des autres. Les explorers quant à eux s'épanouissent à explorer les cartes simplement en utilisant la plateforme.
Toutes ces mécaniques sont réalisées dans un but : progresser dans l’application. La progression permet de garder l’engagement de l’utilisateur en travaillant sa curiosité car il a toujours l’impression de découvrir de nouvelles fonctionnalités. De plus la progression permet aussi au joueur de se rappeler tout le chemin accompli avec l’application. Plus ce chemin est long, moins les chances de voir l’utilisateur partir pour un concurrent de Waze sont grandes. La progression est basée sur une série d’objectifs court termes et faciles à atteindre. L’utilisateur a ainsi une vision de ce qu’il doit accomplir (self determination theorie) et de la gratification qu’il va en tirer, celle-ci pouvant varier selon la typologie du joueur. Dans Waze la progression se fait simplement en parcourant des kilomètres et en contribuant. Mais de part le nombre important de niveaux à débloquer, l’utilisateur a l’impression qu’il n’y a jamais de fin comme dans Candy Crush.
Waze utilise aussi d’autres éléments pour que son application ressemble à un jeu. La direction artistique choisie par l’application se veut très game-like avec des personnages colorés, décalés et fun. Enfin, Waze a en plus réussi à ajouter une mécanique de fun (plaisant à tous les types de joueur), le fun de contemplation
Ce fun s’explique par l’environnement visuel en perpétuel mouvement, il se passe toujours quelque chose à l’écran. Le monde de l’application est vivant et constitué de nombreuses petites animations et interactions comme dans le récent jeu mobile World chef. Même si l’utilisateur n’agit pas, il peut se nourrir de toutes ses petites animations.
Profil d’utilisateur et site d’e-commerce
S’il est facile de faire le lien entre Waze et la gamification (profil de joueurs, progression, fun), ces éléments peuvent-ils être repris sur des sites e-commerce qui font parti des sites les plus visités en France et qui possèdent déjà des mécaniques de rétention pour faire revenir leurs utilisateurs ?
Pour les sites de ventes privées, on constate que les profils des top clients sont très similaires à celui du killer de la typologie de Bartle. Ils ont pour objectif de battre les autres dans la chasse à la bonne affaire et sont prêt à se lever tôt pour une vente en particulier.
Pour les markets place comme Cdiscount, la Fnac ou leboncoin, l’aspect vide grenier dans une offre très diverse et sans réelle hiérarchie plait grandement au profil des explorers. A l’inverse le killer se dirige vers la “bonne offre” ou le produit le mieux noté. Pour ce qui est du socializer, on le retrouve dans l’onglet “avis”.
Mais là où les sites d’e-commerce peuvent s’améliorer c’est dans la mise en place de procédés de progression de l’utilisateur.
En effet, très peu d’entre eux l’intègrent au travers de niveaux, d’objectifs et d’achievement et se focalisent uniquement sur un programme de fidélité. Pourtant c’est grâce à ces mécaniques que beaucoup de sites gamifiés ont une rétention réussie et créent une véritable histoire avec leur client.
Article écrit par Vincent Guilloux, CEO de Brand2Play, agence de conseil stratégique en gamification
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