Le concept de coavionnage, révélé l’été dernier, a rapidement suscité un vif enthousiasme auprès du public et des medias, mais également certaines réticences et tensions au sein de l’industrie aéronautique et des instances réglementaires. Lancée en juillet, Wingly est aujourd’hui l’une des jeunes startups françaises qui émerge pour tenter de devenir le « BlaBlaCar du ciel ». Rencontre avec Bertrand, Lars et Emeric, les fondateurs, pour un échange en toute transparence.
Pouvez-vous nous décrire Wingly en quelques mots ?
Wingly, c’est la première plateforme de coavionnage en France. Grâce à notre plateforme web, nous permettons aux pilotes d’avion de tourisme de poster leurs vols en y indiquant le nombre de places libres et de trouver des passagers supplémentaires afin de mutualiser les coûts et partager leur passion.
La plateforme a été lancée le 9 juillet dernier, quels sont vos premiers résultats ?
Nous comptons aujourd’hui plus de 2800 membres, dont un tiers de pilotes et plus de 2000 connexions journalières. On constate un réel engouement autour du concept, de la part du pilote comme du passager. Une cinquantaine de vols ont été effectués et 100% des feedbacks ont été très positifs !
Quel est votre objectif à long-terme ?
Notre rêve est de réussir à redynamiser l’aviation légère. Nous sommes persuadés qu’il faut bousculer et apporter de l’innovation dans le secteur. Wingly permet aujourd’hui de vivre des expériences incroyables, de rejoindre des destinations magnifiques et de découvrir sa région vue du ciel. Nous voulons permettre à tout le monde de prendre place dans un avion de tourisme.
La France est pourtant un pays moteur et modèle dans l’industrie aéronautique ?
Bien sûr ! La France est depuis toujours précurseur en aéronautique et un leader incontestable. Nous avons une tradition pionnière dans l’aviation, tant civile que militaire. Nos écoles d’ingénieurs et de pilotes sont réputées pour être les meilleures au monde. Nous avons la chance énorme d’avoir en France la plus forte densité d’aéroclubs au monde - on en décompte plus de 600 ! Et même si peu de gens le savent, on dénombre plus de 40 000 pilotes privés.
40 000 utilisateurs potentiels pour Wingly alors ?
Tout à fait ! Mais pour de nombreux pilotes, le coût de leur passion est un frein important. En tant que pilote, nous [Emeric est lui-même pilote, NDLR] devons voler un nombre d’heures minimum pour conserver notre licence, ce qui coûte extrêmement cher. Et nous aimerions tous voler davantage. Tout en restant modeste sur notre possible impact, on espère offrir à ces 40 000 pilotes une possibilité pour redynamiser cette activité en faisant découvrir à des enthousiastes et des curieux le vol en avion léger. Malheureusement, comme toute innovation bousculant un peu le statu quo, elle ne fait pas que des heureux.
Quelles sont les réactions des acteurs historiques face au coavionnage ?
Aujourd’hui, Wingly, comme d’autres plateformes, fait face à une réticence flagrante de la part de certains syndicats de pilotes commerciaux [comme l'Union Syndicale du Personnel Navigant Technique, NDLR] et à une réserve plus ténue venant de la Direction Générale de l’Aviation Civile, l’organe réglementaire rattaché au Ministère de l’Ecologie et des Transports. La DGAC vient récemment d’émettre un communiqué de presse mettant en garde contre la pratique du coavionnage, tout en maintenant un flou réglementaire. Nous avons vraiment l’impression de revivre une histoire connue : la vieille industrie au monopole bien établi face à la petite startup ambitieuse qui tente de questionner le modèle. Forcément, on dérange ! Pourtant, nous ne sommes pas en concurrence directe.
Quelles sont les règlementations qui sont appliquées aujourd’hui ?
Il y a une forte imprécision du cadre réglementaire. Il s’agit d’un règlement européen qui régit le cadre du partage de frais en aviation légère. Selon celui-ci, le coavionnage entre un pilote et ses passagers est possible et légal si le partage de coûts est bien respecté. En réalité, le coavionnage a toujours existé. Il était simplement réservé à un cadre restreint.
Aujourd’hui, nous permettons d’ouvrir le coavionnage a bien plus de monde que le cercle privé du pilote, ce qui n’est pas explicitement énoncé dans la réglementation. L’USPNT nous compare à tort à UberPop et espère se rattacher aux polémiques des derniers mois mais cette comparaison n’a aucune raison d’être. Le pilote ne fait pas de bénéfices, il partage simplement ses coûts. Il ne s’agit en aucun cas de transport public.
Quelles sont vos prochaines actions dans ce débat ?
Nous ne sommes pas fermés au débat, bien au contraire. Mais nous souhaitons un débat serein, pas un procès d’intention. Un groupe de travail a été créé par la DGAC et nous sommes heureux et reconnaissants d’y être convié. Nous espérons des conversations franches et directes. Personne n’a à gagner du flou actuel.
Pour nous, le sujet principal, c’est la sécurité. Nous connaissons les particularités de l’aéronautique et sommes conscient que ce point doit être clarifié avec tous les acteurs. En parallèle, nous essayons de présenter notre activité à un maximum de directeurs d’aéroclubs et de pilotes pour comprendre leurs attentes, tout en continuant à animer et développer notre communauté naissante de membres.
Pour toutes ces questions, nous hésitons à faire appel à un cabinet de lobbying pour nous épauler… mais ce n’est pas évident d’un point de vue trésorerie.
Etes-vous confiants à ce stade et toujours ambitieux ?
Plus que jamais ! Nous sommes convaincus que la France ne passera pas à côté de cette opportunité pour l’aviation et nous sommes ravis d’avoir un rôle à jouer. En Italie, en Allemagne, en Suisse, au Portugal… le coavionnage a été autorisé. Un marché européen potentiel pour Wingly que nous voulons conquérir en tant que startup française.
Nous avons reçu énormément de messages de soutien et d’encouragements ces dernières semaines, c’est très agréable pour nous.
Envisagez-vous une levée de fond pour accompagner votre développement ?
Nous sommes en discussion avec certains investisseurs. On ne veut rien précipiter mais ce sera certainement un enjeu pour les prochains mois.