Voler au-dessus du Grand Canyon, se poser sur la pointe de la Tour Eiffel, prendre le thé avec un Pokémon, organiser une réunion sur la banquise ou cueillir un tournesol peint par Van Gogh : tout ça, en restant chez soi. On se croirait dans Matrix. Oui, et ce n’est pas si fou que ce ça.
Monde virtuel
La réalité virtuelle (RV), à ne pas confondre avec la réalité augmentée qui « augmente » la réalité en y ajoutant – via le prisme d’un écran portatif (smartphone, tablette) – des éléments de décor contextualisés, s’apprête à bouleverser la vie des internautes et leur rapport au monde. Si cette technologie est encore perfectible, ses progrès sont déjà spectaculaires. De nombreux casques (virtual reality headset) seront par ailleurs bientôt disponibles à la vente, à des prix variables, mais de plus en plus accessibles. Dernier en date : Morpheus par Sony (récemment devenu PlayStation VR), dont la sortie est programmée en 2016.
Voilà en gros ce qu’il est possible de vivre dès à présent pour ceux qui ont la chance d’avoir essayé un Oculus Rift. Passée l’humiliation du casque qui donne une tête de cyborg mal fini, c’est le choc. Perché au-dessus d’un arbre, c’est le vertige. Oui, l’utilisateur a peur de tomber. Il a beau se dire que ce n’est pas possible, il a peur. Le cerveau n’est plus qu’un vulgaire toutou à qui on fait croire que ses croquettes ont été cuisinées par Thierry Marx. Bref, il est planté sur son arbre jusqu’au moment où, soudainement, il se trouve dans une voiture de course, côté passager (ok, question transition, reste encore un peu de travail).
La sensation de vitesse est bien palpable et, au-delà de l’excitation, gageons qu’il pense surtout à rester digne (garder un visage impassible, ne rien montrer de la trouille qui envahit tout le corps). Rien ne sert de regarder à gauche, à droite, au dessus, en dessous et d’essayer vainement de se raccrocher aux dernières bribes de « vraie » réalité. Non, rien à faire, le monde dans lequel l’utilisateur est plongé est un tout, totalement cohérent. Le programme de démo, car il s’agit bien d’une démo existante, se termine dans une belle salle de musée où il pourra admirer des toiles de maîtres de l’Art Moderne.
D’autres convives, sortes de « happy fews », l’accompagnent dans ce monde virtuel. Triés sur le volet, ils sont tous beaux, (on se croirait dans une pub pour Hugo Boss). Habillé « casual cool », casqué tel un ado post-boutonneux, notre « testeur » risque de faire tâche. Mais ce n’est grave, puisque c’est virtuel. Ouf.
Metaverse ?
Imaginons maintenant que l’on ait la possibilité de se plonger dans des mondes tout à fait cohérents, construits, et que l’on puisse les modifier selon nos humeurs (les moins jeunes penseront à Second Life, c’est un peu ça mais en beaucoup plus abouti). Il ne s’agit plus de démo où l’on suit un parcours préétabli, mais de « vrais » mondes dans lesquels l’internaute pourra bientôt se « mouvoir » et « vivre » de nouvelles expériences. Via un avatar. C’est le défi un peu dingue que propose le concept de métavers (contraction de méta et univers, metaverse en anglais).
Neal Stephenson l’imagine dès 1992, dans son livre « Snow Crash ». Cette nouvelle, culte pour les amateurs de culture cyberpunk, met en scène des scientifiques qui projettent leurs propres avatars dans un monde virtuel, échappant ainsi au monde réel et corrompu d’une Amérique déchue. Pas très aboutis au début, les avatars deviennent de plus en plus sophistiqués, jusqu’à devenir de véritables répliques digitales de leurs modèles, vivant leur propre « vie » dans le grand magma virtuel. La techno est rendue possible grâce à des wearables (servant de capteurs) et, déjà, d’un casque de RV.
Au fait, comment ça marche ? Le casque se compose d’un écran qui simule une vision stéréoscopique et de capteurs qui permettent de suivre les mouvements de la tête. L’utilisateur est ainsi immergé dans un monde virtuel fait de milliers de calculs qui composent, en temps réel, l’environnement dans lequel il se trouve, quelle que que soit la position ou l’orientation de sa tête. L’illusion est totale.
Bienvenue dans la matrice
La science-fiction, quand elle est bonne, s’appuie sur des hypothèses scientifiques plausibles. Qui peuvent advenir quelques décennies plus tard. Et c’est là que le truc devient fascinant. Parce que tout ce qui nous paraissait « magique » et surréaliste devient possible.
Sur le moment, tout le monde fait la mou, les lèvres pincées, quand, le 25 mars 2014, Facebook officialise le rachat d’Oculus Rift pour 2 milliards de dollars. Le marché d’abord, qui ne voyant pas plus loin que le bout d’une action, est effaré par la somme versée. Les Gamers ensuite, qui angoissent à l’idée que le géant n’impose partout sa dimension « sociale » et casse la promesse de jeux « immersifs » qu’offre le fameux casque, renouvelant radicalement l’expérience du gaming.
Tout le monde à tort, personne n’a rien vu. N’est pas Mark qui veut. En dépit de ses vieux T-shirts, le roi du « social network » reste un visionnaire. Bien sur, grâce à la RV, des milliers de joueurs pourront s’affronter en temps réel sur des plateformes dédiées. Mais on peut aller plus loin. Bien plus loin. Surtout quand on a à disposition un nombre d’utilisateurs actifs quasi illimité (le cap du milliard vient d’être franchi en septembre 2015).
La techno la plus prometteuse ne servirait qu’à jouer ? Is it a joke ? Ne sous-estimons pas les rêves d’expansion de Facebook.
C’est Brendan Iribe, CEO d’Oculus, qui le premier lâche le morceau. Lors du dernier Techcrunch Disrupt à San Francisco, il reprend à son compte le Metaverse et son concept d’immersion totale dans un monde virtuel, avec ses propres rues, bâtiments, magasins, transports … et probablement sa propre logique. Un monde qui pourra reproduire les lois physiques telles qu’on les connait (gravité, temps ...) ou bien s’en débarrasser pour réinventer d’autres lois, riches en expériences nouvelles (pourquoi pas imaginer un ciel liquide où des toboggans géants nous portent vers d’autres mondes). Et il se donne les moyens d’y parvenir. Le nouveau bureau de Seattle devient en effet un laboratoire de recherche et développement, qui doit engager des partenariats avec des universités et travailler avec des étudiants pour, à terme, aboutir à une réalité virtuelle encore plus « parfaite ».
Brendan Iribe conclut, histoire d’enfoncer le clou : « le mobile est la plateforme d'aujourd'hui mais nous préparons celles de demain. Oculus a le potentiel pour changer la façon dont nous travaillons, jouons et communiquons … Nous pensons que la réalité virtuelle va devenir un des secteurs où la recherche sera la plus forte dans les décennies à venir ».
Augmenter l’expérience du jeu n’est pas l’objectif final. Bientôt, il sera temps de créer quelque chose de bien plus profond.
Vivre dans Facebook
Se connecter à Facebook 14 fois par jour n’est pas suffisant… alors que le socionaute pourrait vivre dans Facebook. Liker, commenter, partager c’est sympa. Mais l’expérience sociale peut être encore plus sociale. Imaginons qu’un utilisateur actif de Facebook ne partage pas juste un moment en ligne (avec ses amis), mais une expérience.
Avec un avatar (lui, mais en mieux), il pourra « discuter » avec ses amis virtuels et rencontrer ses stars préférées sur la plateforme (voire même aller plus loin s’il est coquin). Comme s’il pénétrait dans le fil d’actualité.
Il pourra faire ses courses dans des Malls féériques et être livré directement chez lui (on devine déjà le rôle que pourront jouer les marques dans ce nouvel écosystème, sans parler des opportunités évidentes pour la pub).
Il pourra chevaucher un poney-licorne multicolore dans une forêt fluorescente (chacun son truc).
Et aussi apprendre, en classe virtuelle, en compagnie de professeurs et d’étudiants venus du monde entier. Traiter ses phobies, s’entrainer à prendre la parole en public ou à piloter un avion, être dans la peau d’une femme (si c’est un homme) ou d’un homme (si c’est une femme). Se faire ausculter par l’avatar de son médecin. Voyager sur Mars … Quoi d’autre ? Tout ce que l’on peut imaginer. Il n’y a pas de limites.
Et le plus flippant c’est que toutes les conditions sont réunies pour que cette réalité devienne plus attrayante que le train-train quotidien.
Tout reste à inventer mais gageons que Facebook, puisqu’il sait déjà tout (ou presque) de nous, saura comment parvenir à ses fins. En observant les comportements des internautes, en identifiant ce qui plait ou pas, en testant sans cesse de nouvelles expériences pour les rendre définitivement accros à cette vie parallèle. Ce qui sera encore plus facile pour les prochaines générations, hyper connectées et biberonnées à une techno qui fera naturellement partie de leur vie.
Reste à savoir jusqu’à quel point. Et quelles « lois » régiront cette vie parallèle. Car ce nouveau rapport au monde, que la technologie nous mijote, pose de nombreuses questions. Quid de la vie privée, ou du moins de ce qu’il en reste ? Que deviendront les données collectées de nos préférences et de nos fantasmes ? A quelles fins seront-elles utilisées ? Un avatar pourra-t-il être piraté ? Aura-t-il des droits ? Des devoirs ? Pourra-t-il être poursuivi en justice ? Ce monde sera t-il une nouvelle plateforme « larvée » de conversion pour les politiques et terroristes de tout poil ? Quelles idéologies y seront prônées ? Voilà de quoi occuper nombre de juristes, philosophes et autres sociologues 2.0.
Finalement, deux milliards pour un casque, c’est plutôt une affaire non ?
Pour les lecteurs qui ont envie d’aller plus loin sur le metaverse, Philip Rosedale, fondateur de « Second Life », dit tout dans cette vidéo (en anglais).
Article rédigé par Stéphane Hardel, Consultant en stratégie digitale et planning stratégique