Les 'MOOCs' démocratisent l’accès à l’éducation à travers le monde mais doivent être produits partout pour ne pas devenir un outil numérique de diplomatie.[hr]
Article proposé par Margaux Pelen, curieuse des projets éducatifs utilisant de la technologie à bas coût à travers le monde et à l'origine du futur projet Local Academy
"Mais pourquoi irions-nous ?"
Je me trouvais sur un bateau au beau milieu de la rivière Orénoque (Vénézuela) en compagnie d’indiens Warao. La réponse était venue spontanément d'une enfant, alors même que je demandais à un petit groupe où ils allaient à l’école. Celle-ci avait du sens: les Warao (‘peuple de la pirogue’) sont un peuple indigène qui vivent de la pêche et disposent de très peu de connexion avec le reste du pays. Les contacts avec le gouvernement sont limités, tout comme avec les "non-warao" et le reste du pays, à cause de la mauvaise couverture téléphonique de la région.
Comme il n’existe pas de mot pour dire "livre" en langue Warao, aborder le sujet de l’école était un peu déconnecté de ce que je pouvais imaginer: la culture de la communauté Warao étant transmise oralement, peu de supports éducatifs dédiés sont utilisés.
La rencontre avec ces enfants a dès lors rapidement provoqué quelques questions sur le potentiel des nouvelles technologies à bas coût sur l’éducation, qui était alors l’objet des deux derniers mois de mon voyage. Comment expliquer et donner une légitimité la révolution de l’éducation en ligne quand certains enfants ne vont même pas à l’école ? A l’inverse, comment utiliser des formats éducatifs pour donner accès à la connaissance et donner un rôle actif à chacun dans cette révolution ?
De l'éducation à l'e-ducation
Dans de nombreux pays, l’éducation est un service public. Celle-ci inclut la transmission d’un ensemble formalisé de compétences (comme lire et compter par exemple), de connaissances (les maths, l’histoire, etc.) mais aussi un cadre spécifique dans lequel cette transmission a lieu (les professeurs, les écoles et les salles de classes). A l’exception de communautés sporadiques, tels que les Waraos, le numérique impacte chacune de ces composantes.
La partie la plus visible de ces changements a désormais un nom: les ‘MOOCs’ (Massive Open Online Courses), un acronyme datant de 2008 qui désigne les cours en ligne accessibles gratuitement à tout un chacun. Les MOOCs décentralisent le cadre pédagogique en profondeur: seul un ordinateur connecté à internet rend leur suivi possible.
Les MOOCs, un système éducatif extensible
Les MOOCs sont devenus populaires il y a quelques années. Ils présentent une opportunité importante en terme de diffusion de l’éducation et cela, sans se soucier des revenus ou de l’endroit où se trouvent les étudiants. Ce mouvement est désormais résolument international: Harvardx (l’un des premiers acteurs) a maintenant plus d’un million d’étudiants dans plus de 226 pays.
Lors d’un remarquable "TED talk", Daphne Koller (la cofondatrice de Coursera, une des plateformes de MOOC les plus connues) explique que la "digitalisation" serait la solution pour étendre l’éducation partout. Elle prend l’exemple de l’Afrique du Sud où l’éducation a été pensée pendant l’Apartheid, donc pour un nombre limité de personnes. Son message est clair quand elle cite Thomas Freidman: "les avancées majeures arrivent uniquement quand soudainement, ce qui est possible rencontre ce qui est désespérément nécessaires". Nous sommes en effet à l’aube d’un changement radical, mais il apparaît nécessaire de garantir que les contenus soient à la fois produits et consommés localement.
Education en ligne ou diplomatie numérique ?
Les MOOCs ont le potentiel de rendre possible un partage de connaissances avec des gens qui n'avaient jamais eu l'occasion d'y accéder avant. Il est néanmoins nécessaire d'examiner quels pays produisent le contenu de ces enseignements. Si tout le "pouvoir" de l’enseignement se concentre dans quelques pays, la disponibilité et le contrôle géographique des MOOCs pourraient devenir une affaire diplomatique: ces acteurs de l’éducation sont des entreprises qui peuvent être mis sous pression comme les autres.
Une récente illustration de ce changement d’état a sans doute été perçu il y a quelques semaines chez Coursera qui a suspendu ses cours dans des pays comme Cuba, l'Iran, le Soudan et la Syrie (tous ces pays sont en conflit diplomatique avec les États-Unis). Cette manœuvre diplomatique a interrompu les cours des élèves qui s'étaient inscrits : comme l’a expliqué la plateforme, le gouvernement a ainsi "sanctionné" ces pays et ces populations. Un fait surprenant quand on sait que la Banque mondiale est un des investisseurs et que l'entreprise se définit elle-même comme une startup "sociale".
En un instant, cette décision de Coursera a transformé ses MOOCs d'un bien public quasi global qui permettait a tout citoyen connecté de s’investir en temps et en énergie, en une denrée dont l'accès a été refusé par la volonté d'un gouvernement. Cette action inattendue est une des raisons pour lesquelles l'éducation en ligne doit être une préoccupation locale pour éviter une concentration trop grande de l’éducation.
Contre l'uniformisation du savoir, choisir la diversité locale des connaissances
De nos jours, la consommation de contenus éducatifs est certainement mondiale, mais c’est loin d’être le cas pour sa production et sa gestion. Alors que le mouvement a commencé aux États-Unis, la plupart des cours y prennent seulement racine actuellement. Comme j’ai pu le souligner à partir de la carte de Harvardx, cela ne signifie pas que le contenu en ligne n'est pas accessible pour la majorité des pays. Cela signifie simplement que nous apprenons tous la même chose: la traduction est pourtant fortement éloignée de la production de contenu, c'est juste une adaptation sans sa nécessaire contextualisation culturelle.
Cependant, ne vous méprenez pas: les MOOCs sont une formidable opportunité d’améliorer et de perfectionner votre propre éducation, mais de la façon dont vous assembleriez des LEGOs. L'accès à du contenu de n'importe quelle université n'est que la première étape des possibilités offertes par la formation en ligne, un peu comme si nous comparions cette situation à celle de la télévision avant Youtube. Le vrai pouvoir de l'éducation en ligne est de permettre une création de contenu local en lui donnant la possibilité d’une diffusion globale (et non seulement à faire du contenu à consommer dans le monde entier).
A Buenos Aires, Mariano Mayer, la personne en charge de l’entrepreneuriat pour la ville, comprend parfaitement cet état de fait et travaille sur un moyen de tirer parti de la numérisation, pour fournir un excellent contenu argentin à ceux qui ne peuvent pas y accéder (par manque de logistique par exemple). Avec l'aide des acteurs locaux, la ville se concentre pour devenir une source locale de contenu pouvant servir de référence, être enrichie et comparée avec les autres.
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Les MOOCs sont une formidable opportunité en faveur de l’apprentissage et l'éducation culturels, toutefois lorsque l'on considère leur potentiel dans sa globalité, n'oublions pas les paroles de l’anthropologue Levy Strauss dans "Race et Histoire":
"Il n’y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l’on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence".
Il est nécessaire de se concentrer aujourd'hui sur comment créer, promouvoir et distribuer l’éducation localement à travers sa numérisation et des technologies appropriés (comme les SMS).
Si vous souhaitez aller plus loin, n'hésitez pas à rejoindre le projet "Local Academy" (ouverture prévue bientôt).
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