Un grand sage, Ludwig Binswanger*, fait une description fine de l’individu joyeux. Or, ce qu’il décrit du "monde" de l’optimiste ressemble fort à l’ambiance idéale pour une équipe de direction. Pourquoi l’esprit de fête est-il un facteur-clé de succès ? Beaucoup le disent. Peu l'expliquent. Tribune de Matthieu Langeard.[hr]
Le dirigeant enthousiaste rend son environnement hospitalier et fonctionnel. Tout y est plus simple. Selon l’auteur, l’optimiste ne s’attarde pas sur les difficultés, il "prend tout aisément" : son monde est léger. "Comme il ne s’y frotte pas et ne s’y écorche pas, c’est que son monde est lisse. Comme il traverse la vie aisément, c’est qu’en outre son monde est plat." Il rencontre peu d’obstacles : "son monde est dilaté ou large spatialement. Par conséquent, les choses ne s’y heurtent pas durement mais elles se touchent doucement (…). Il n’a pas à lutter contre des résistances, mais seulement à se laisser porter."
Impossible pour un entrepreneur dont le quotidien est semé d’embuches ? Pas si vite !
Ce que je vous propose de rechercher ici, c’est une attitude globale, une tendance générale dans votre rapport à la vie. Et plus particulièrement celle qui facilite la chance…
A vous l’océan bleu !
Très concrètement, l’optimiste semble donc évoluer dans le fameux "océan bleu". Là où l’entreprise s’affranchit des contraintes de son marché en quittant les eaux d’un environnement concurrentiel saturé, où les produits se ressemblent de plus en plus et où la guerre des prix fait rage. Fuyant "l’océan rouge (sang)" où les requins entre-tuent des requins, il innove. Grâce à son rapport joyeux et créatif à la vie, l’entrepreneur effectue un véritable déplacement stratégique. Il crée un espace de marché entièrement nouveau : pour croître, tournez le dos à vos concurrents !
Certes, en cas de tempête, le dirigeant ne peut pas se cacher derrière des benchmarks… Qu’à cela ne tienne, semble nous dire Ludwig Binswanger. Si l’optimiste "coule une fois un tout petit peu vers le bas, il ne tombe pas pour autant de tous les cieux et il revient rapidement vers le haut (grâce au milieu élastique et à son poids propre léger)."
Votre réflexion stratégique s’enrichit
"Comme [l’optimiste] voit toujours une issue, c’est que son monde est éclairé.
Autre bénéfice à choisir et se construire une "présence au monde" large et dilatée : il y est beaucoup plus facile de développer une réflexion stratégique riche, complexe et innovante. De nouvelles liaisons conceptuelles sont stimulées par une approche tranquille, assurée, et pas à pas. Le plus grand ennemi de l’innovateur est sa peur ? Elle accapare l’oxygène du cerveau dans l’amygdale cérébrale, et laisse la tête vide ? Allez chercher votre enthousiasme, remettez-le au centre ! Ne laissez rien, ni personne, "doucher" votre joie d’entreprendre.
"Comme [l’optimiste] voit toujours une issue, c’est que son monde est éclairé. (…) Comme il rend possible l’impossible, c’est que son monde est plastique ou malléable. Comme il voit dans ce qui est pour d’autres simplement du possible, déjà quelque chose de probable ou de réel, c’est que son monde est dans une large mesure efficace et formateur. Comme il projette, formule, espère ou attend toujours quelque chose d’heureux, c’est que son monde est prospère. Comme il ne pense que du bien des hommes, c’est que son monde (…) est bon."
Vous êtes agile
Binswanger fait alors la distinction entre "l’homme d’étoffe grossière, à l’esprit lent, complètement conscient de sa responsabilité, pesant et examinant les difficultés de son entreprise", et "l’optimiste vif d’esprit, flottant dans les nuages et qui voit la vie en rose." Le premier "lutte durement contre ses pensées et ses résolutions"; son monde est "dur, résistant en soi-même et contre lui". Le second a un rapport plus léger "à ses pensées, ses évaluations et ses résolutions", pour lui, "le monde [est] mou et flexible".
Chez la plupart des gens, "la rupture est énorme entre la pensée et l’acte, entre la possibilité et la réalité en général". "Chez l’optimiste par contre, les deux choses, la pensée et l’action, sont bien faciles, et la distinction entre l’espace de pensée et l’espace d’acte est plus que minime. Ce que nous appelons optimisme (…) n’est rien d’autre que cette harmonie (…) des frontières spatiales du monde des pensées et du monde des choses."
Vos équipiers sont une source d’équilibre
L’enthousiasme mesuré n’est pas l’ivresse. A dose modérée, il tend à devenir "un enchantement durable de la personnalité". L’équilibre est difficile à trouver, et à faire durer. L’esprit d’équipe et la complémentarité des caractères à la tête de l’entreprise en sont la clé. Le dirigeant total n’existe pas.
Le leader s’enflamme, le manager pondère. L’un recherche le changement, il est engagé dans une vision. L’autre construit de la stabilité via des process. Le leader est un "créateur de culture", il s’ouvre au monde et se fie à son intuition. Le manager est un "chef des opérations" : il se concentre sur ce qui se passe dans l’entreprise et s’appuie sur le raisonnement logique. L’apprentissage du respect, de l’admiration et de la reconnaissance mutuelle leur permet de traverser les crises.
Entreprendre est une fête : plus on y est de fous, plus on rit !
*Ludwig Binswanger (1881-1966) est un psychiatre suisse. Pour la relation d’aide, il recommande à l’accompagnateur de rejoindre l’autre dans son « monde » (la structure de sa présence et de son rapport au monde). Alors seulement l’accompagnateur peut guider l’autre pour qu’il continue son développement personnel : il le prend par la main et lui montre des "passages" pour continuer son "ascension". Les citations de cet article sont extraites de son livre, "Sur la fuite des idées" (Ed. Jérôme Million, 2000).
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