L’économie solidaire fait beaucoup parler d’elle et semble créer une nouvelle branche à l’économie classique et une autre voie vers laquelle s’engage de plus en plus d’entrepreneurs. La vague qui prend ses racines aux US rencontre un très large écho ici avec quelques dizaines de start-ups plus qu’actives. Le sujet passionne par sa capacité à entremêler de manière particulièrement intime l’entreprenariat classique et une volonté d’aider son prochain qui donne un souffle différent à l’esprit qui avait jusqu’à alors cours dans les business model traditionnels. Antoine Regeard, un ex banquier qui devient le co fondateur de Babyloan, le leader européen des microcrédits, nous livre ses explications et ses succès :
#1 Est-ce que tu peux nous définir ce que c’est l’économie solidaire ?
En fait, il y a deux choses : l’économie sociale et solidaire (ESS) qui touche aujourd’hui 10% des salariés en France (les coopératives, les banques mutuelles, les associations etc...) et des entreprises sociales. Comme Babyloan, ces dernières sont structurellement de pures entreprises mais dont l’objet est davantage tourné vers la plus-value sociale ou environnementale que vers la recherche du gain financier. Il existe une trentaine d’entreprise de ce type en France, guère plus, mais effectivement elles se développent beaucoup ces dernières années.
Les initiatives qui composent le secteur de l’ESS sont diverses mais partagent des caractéristiques essentielles : une finalité d’utilité sociale; une mise en œuvre du projet fondée sur une gestion éthique et une gouvernance démocratique ; une dynamique de développement s’appuyant sur une mobilisation citoyenne…
De façon concrète, ces initiatives apportent la preuve que des projets économiques peuvent réussir sur le marché concurrentiel, tout en étant plus respectueux des personnes.
#2 Quels concours y a-t-il pour les entrepreneurs de ce segment ?
Prix Convergences, Appel à projet dans l'Economie Sociale et Solidaire (ville de Paris), Concours Ekilibre (Concours national du commerce équitable et du commerce solidaire), Appel à projet 2012 pour l'innovation sociale (Conseil général des Hauts-de-Seine), ESSL Prize (concours européen), Concours Européen de l'entreprise Innovante (C2EI)…
#3 Comment cela change-t-il le business model ?
Babyloan est une entreprise sociale. Elle partage des caractéristiques communes avec les entreprises « classiques » et doit notamment atteindre l’équilibre économique mais elle s’en distingue en ne cherchant pas le profit pour ses actionnaires. Son projet social est sa mission prioritaire.
L’objectif de Babyloan est de concilier sa mission sociale : contribuer au développement du microcrédit social avec la nécessité d’atteindre l’équilibre financier.
Afin de s’inscrire totalement dans cette logique d’entreprenariat social, les statuts et la gouvernance de l’entreprise ont été aménagés :
- Lucrativité limitée (réinjection des bénéfices dans l’objet social de l’entreprise, redistribution minime des bénéfices éventuels aux actionnaires) ;
- actionnariat partagé avec les salariés ;
- gouvernance aux mains des institutionnels et des ONG actionnaires ;
- encadrement des salaires dans un rapport de 1 à 5 maximum entre le plus bas et le plus haut salaire.
#4 Une vision radicalement différente de l’économie ?
Avec Babyloan, je souhaite conjuguer finance et solidarité, pour une réappropriation de la finance et de l’économie par les citoyens qui veulent donner du sens à leur argent. Ne sommes-nous pas en train de faire émerger de véritables banques citoyennes universelles ? Dans cette perspective, l’argent n’est pas une fin en soi mais un outil au service du développement humain. La finance solidaire donne la priorité aux exclus du système bancaire traditionnel et constitue ainsi un lien durable entre l’économie et la société.
Le micro-crédit en ligne découle aussi d’un changement dans les représentations du Développement : il s’impose comme un outil innovant de lutte contre la pauvreté qui brise la logique d’assistanat qui caractérise souvent les relations Nord/Sud. Il met également en avant le rôle que peut jouer le grand public dans le financement du Développement, face à une baisse de l’Aide Publique au Développement (APD) et des sources de financement chères pour les IMF (emprunts aux banques locales, lignes de crédit provenant de fonds d’investissements privés et de bailleurs internationaux).
Au final, nous souhaitons inciter les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens à changer de comportements pour tendre vers une économie plus solidaire, plus équitable et plus responsable.
#5 Quels conseils donnerais-tu pour réussir ?
Écouter ses passions, ne pas trop réfléchir et bosser un peu plus que de raison…
#6 Comment expliques-tu cette poussée dans ce domaine ?
Je pense que nos gouvernants et nos grandes entreprises ont cessé depuis des années de construire la société autour de l’individu et ont donné priorité aux budgets, à la dette et à la rentabilité. L’effet est dramatique sur la perception de l’individu envers l’économie et pousse nombre d’entre eux à vouloir faire autre chose, à vouloir donner du sens à leur vie et leur carrière. C’est symptomatique chez les jeunes, la fameuse génération Y, ils ont vu leur parents, hyper investis dans les entreprises qui les faisaient vivre, se faire jeter ou se faire placer en pré-retraite à 54 ans ! Sans parler de la crise permanente, de la baisse relative du pouvoir d’achat etc. Voilà les modèles qu’ont eu les jeunes, ils cherchent donc aujourd’hui des carrières et des parcours de vie qui font sens.
#7 Quel avenir vois-tu pour l’économie solidaire ? Une mode ou un mouvement de fond ?
Je pense que l’on est en présence d’un phénomène de fond, il répond à l’aspiration de jeunes de vivre autrement et de vivre la société à leur façon, en mode direct et solidaire. Cela étant, l’entrepreneuriat social doit montrer sa capacité à devenir un secteur à part entière notamment en parvenant à démontrer sa viabilité financière, c’est l’enjeu aujourd’hui qui permettra à ce secteur d’atteindre la maturité et de se développer très fortement.