Cyril Oliver, Directeur web de Kiabi, répond aux questions de la rédaction sur l'avenir du textile et sur l'impact des startups sur ce marché. Après le dossier sur "le futur du textile se joue-t-il aujourd'hui?", Maddyness revient sur le point de vue d'un acteur traditionnel du secteur et sa perception de son environnement. [hr]
Comment percevez-vous le marché de l'habillement actuellement?
Tout d'abord, nous nous rendons compte d'une évidence : c'est de moins en moins un marché de besoins (même sur des segments "Homme" et "Enfants") mais qui s'axent plutôt sur l'impulsion, le plaisir. Donc prime à la créativité / la bonne touche de mode ET… à l’excellent rapport qualité/prix.
Il semble aussi que les deux extrêmes s’en sortent : le mass marketing, low fashion pour un public qui veut se faire plaisir, souvent, sans se ruiner. A l’autre bout, le luxe se porte bien, tourné vers de nouveaux clients. Plus prosaïquement, chez nous, dans nos pays-clients, le textile est un vrai poste de dépenses d’ajustement budgétaire. Ce n'est pas / plus un impératif.
Quel impact a l'innovation dans votre secteur?
Nous ne sommes pas dans des secteurs au ticket de R&D très très élevé comme d’autres industries. C’est du vrai B to C avec de l’innovation, certes produits mais aussi beaucoup marketing, portée par les clients finaux : moins une nouvelle matière ou un process industriel révolutionnaire de fabrication que de nouveaux usages produits (ex. le buzz récent incroyable autour des produits anti-UV à porter), de nouveaux services (le fitting facilité, la personnalisation voire l’impression 3D), de nouveaux modes de consommation (une offre disponible 24/24 et 7/7, consultable sur tous les supports).
Maintenant il ne faut pas confondre innovation avec digitalisation/facilitation des modes de consommation ancestraux : quand on parle de textile, a fortiori quand cela ne correspond pas à des produits brandés facilement consultables d’une enseigne à une autre, … la cliente finale a toujours besoin de toucher le produit, vérifier la matière et le bien-aller.
Comment voyez-vous l'entrée de startups dans votre domaine?
Forcément positivement car elles doivent à la fois répondre à des besoins (comment enrichir l’expérience on-line sur un média aussi froid que le Web quand on parle d’acheter de la Mode ? A l’inverse comment faire bénéficier en magasin de la qualité des data & du tracking clients déjà faisables on-line). Mais aussi bousculer, faire avancer un secteur de la Mode peut-être moins avancée, en tout cas en Europe continentale, sur des sujets préemptés par l’industrie : crowdsourcing avec co-création de collections ? synergies industrielles entre concurrents pour avancer sur des sujets structurants… comme le paiement mobile ?
Comment travaillez-vous avec elle? Quel est l'intérêt?
Tout simplement en s’obligeant - dans des agendas moins flexibles dans un grand groupe et très/trop fortement sollicité - à en voir régulièrement. Lors des premiers rendez-vous, rester très ouvert et faire aussi des retours / des effets miroirs pour permettre aux entrepreneurs d’avancer… quitte à ne pas retenir l’idée pour KIABI.
Et en interne, expliquer les attendus / KPI du projet, c'est à dire accepter aussi des essais sans succès. Economiquement tester à une échelle sérieuse est plus difficile pour les entreprises enseignes en Europe qu’aux US.
Quelle est pour vous la future tendance de votre marché?
- Digitalisation de l’expérience magasin (certes je sais ce qu’il achète mais comment faire évoluer merchandising et la vente avec une meilleure connaissance du client. Notamment ses appétences produits pas encore concrétisées en achats).
- Exploitation et industrialisation du crowdsourcing (quel avenir pour les études clients ?) : intégration réelle des clients et contributeurs dans le process /
- Mobile on-line / in-store
Des secteurs et des innovations sur la TV connecté et les nouveaux mobiliers urbains connectés sont également à suivre pour nos secteurs. En somme tout ce qui enrichira l’expérience shopping on-line vers plus de plaisir et de fun (quelle est vraiment la part de consommatrices femmes de mode qui aiment sélectionner / naviguer via des filtres de sélection ?). Tout ce qui facilitera la supply chain textile et time-to-Market.
A l’inverse je suis très dubitatif, en ce qui concerne le secteur de la Mode, sur des solutions comme les avatars / les vendeurs virtuels qui ne sont absolument pas funs et utilisés un peu comme un gadget. Les call to action peu rentables dans nos activités aux paniers plus bas que du tourisme ou de la Finance ou les modélisations de fitting avec mannequins virtuels ou miroirs digitaux : encore très perfectibles et sans doute trop pensés par des hommes pour de la mode femme.
Interview réalisée avec Aurore Vanacker