« Si le chien est le meilleur ami de l’homme, le canard est certainement le meilleur ami du Dev et de l’architecte. » Chez Octo, la « Duck Conf » est une journée entièrement dédiée aux experts des systèmes informatiques pour faire émerger les tendances de demain et échanger avec leurs pairs. Elle permet à tous les collaborateurs de se mobiliser, d’échanger entre eux et d’ouvrir au reste du marché leurs réflexions.

Faire de l’information un levier de développement - et pas un objet de pouvoir !

La Duck Conf est l’un des résultats les plus visibles d’une culture d’entreprise explicitement « apprenante ». Comme le précise Ludovic Cinquin, cofondateur et ex-CEO d’Octo, dans son ouvrage Devenir une entreprise agile, « Nous avons réussi à installer une culture dans laquelle la connaissance n’est aucunement un enjeu de pouvoir et où ceux qui contribuent à sa circulation bénéficient de la reconnaissance de leurs pairs. En somme, l’information est horizontale, appartient à tout le monde, les canaux de communication sont ouverts et visibles et permettent à qui le souhaite de prendre la parole. »

Les témoignages des collaborateurs vont dans le même sens : architecte SI, Laurent Sollier explique par exemple sur le blog de l’ESN qu’il a été invité à animer un talk sur le No-Code/Low-Code alors qu’il était entré dans l’entreprise seulement un an auparavant. D’abord en interne, et ensuite lors de la Duck Conf l’année suivante.

On voit bien l’intérêt pour les salariés. Qu’en est-il de l’employeur ? Manifestement, cette approche séduit les candidats, fidélise les collaborateurs et renforce leur motivation. Laurent Sollier le souligne : « Ce que je pensais être une entreprise technique est en fait une entreprise globale. Nous pouvons solliciter des personnes qui vont nous permettre de nous projeter sur de futures approches métier, ce qui va nous permettre de construire des SI qui se projettent sur les futurs usages et pas seulement sur les futures technologies. Et en tant qu’architecte de SI, ça vaut de l’or. »

Il existe également chez Octo une communauté des anciens, encouragée par l’entreprise. Les salariés continuent d’échanger leurs bonnes pratiques après leur départ et parfois… ils reviennent (ce sont les salariés-boomerangs).

Un salarié-boomerang n’est-il pas l’une des meilleures preuves d’une politique RH réussie ? On peut en débattre. Chez Mazars France, Mathilde Le Coz, Directrice des Ressources Humaines, l’affirme depuis plusieurs années déjà, au gré de ses prises de parole publiques, ici par exemple : « Je crois vraiment aux salariés boomerang, c'est-à-dire ceux ou celles qui quittent l’entreprise et qui y reviennent quelque temps plus tard. A partir du moment où ces personnes reviennent, cela signifie qu’elles ont vu d’autres choses. Elles apporteront donc du renouveau (notamment grâce au benchmarking qu’elles auront réalisé en étant dans d’autres entreprises). En même temps, les boomerangs gardent de fortes attaches internes avec leur entreprise d’origine. Je dirais même qu’ils sont encore plus engagés car ils sont déjà allés voir ailleurs ! »

Vers le « bureau augmenté », celui qui fait monter le salarié en compétence

Jules Dubois, cofondateur de Factory, société de 90 collaborateurs spécialisée dans la stratégie immobilière, la création et l’aménagement d’espaces de travail de demain, n’est en revanche guère convaincu par les « boomerangs ». « Je ne suis pas certain qu’on puisse écrire une nouvelle histoire, qui soit meilleure que la première. Je préfère m’efforcer de donner toutes les raisons à nos équipes de poursuivre leur trajectoire le plus longtemps possible chez Factory. Je suis convaincu que ce qui pousse les entreprises à grandir continuellement, c’est la volonté de garder leurs bons éléments et de leur offrir des opportunités tangibles pour qu’ils n’aient pas envie de partir, notamment à travers des programmes de formation adaptés aux objectifs de chacun.» 

Concrètement il existe à l’entrée du Live (siège social de Factory) une grande salle dédiée aux réunions créatives, à la formation interne et à l’accueil d’intervenants extérieurs. « Quand Factory est née en 2017, nous étions seulement quatre et l’une de nos premières valeurs, c’était “grandir ensemble”. Tous nos clients nous affirment qu’ils ont un système de formation interne. Mais bien souvent ces systèmes ne reposent que sur des formations à distance élaborées par des personnes externes, et cela ne suffit pas. Les talents d’aujourd’hui ont besoin d’incarnation et de sens dans leur mission.

Les entreprises doivent avoir un lieu de formation, chez elles, physiquement dédié, et de préférence dans les premiers 100 mètres ! Je suis intimement convaincu que le futur de l’entreprise dépend de sa capacité à former ses équipes alors il faut s’entraîner, toujours plus fort pour rester parmi les plus performants … Comme les sportifs de haut niveau. C’est essentiel non seulement pour les équipes mais aussi pour les candidats car ils sont de plus en plus nombreux à vouloir rejoindre des entreprises apprenantes.»

La peur du déclassement professionnel nous concerne tous

« Nous avons affiné dans le temps la notion de bureau augmenté, poursuit l’entrepreneur : c’est un bureau dans lequel on construit un outil à destination de la montée en compétences des équipes. Car ni l’entreprise ni le salarié ne vivent sur une île isolée. Il y a énormément de facteurs exogènes qui construisent leur relation. En 2024, deux de ces facteurs sont très importants : d’abord le plein-emploi des cadres, qui est devenu structurel car il dure depuis sept ans. Et le second facteur, c’est une accélération du monde : aujourd’hui l’intelligence artificielle, la communication instantanée, les attentes clients...  Tout cela change à une vitesse inédite. Les salariés qui évoluent dans des entreprises mal équipées pour les accompagner peuvent avoir peur d’un déclassement alors que ceux qui acquièrent de nouvelles compétences grâce à leur employeur sauront, au contraire, faire de cette accélération du monde une source d’opportunités. »

Le bureau est le meilleur moyen, le plus efficace, le plus concret, le plus quotidien, de témoigner de l’intérêt que vous portez à vos équipes, répète donc Jules Dubois. « Offrez la possibilité d’apprendre, avec des formations de qualité, en continu. C’est très difficile, mais c’est ce qui in fine créera de la valeur. »

Capital financier, capital humain : vers un retournement ?

A l’IAE de Paris, Florent Noël, professeur et directeur du Programme Master RH & RSE, estime lui aussi que l’entreprise apprenante, dans le cas des travailleurs du savoir, s’est imposée progressivement. « Je crois qu’il y a eu un renversement du rapport de forces. Jusqu’ici, le capital financier cherchait des travailleurs à exploiter. Je caricature un peu, mais pas tant que cela. Aujourd’hui, c’est le travailleur qui cherche des capitaux financiers à exploiter… Le travailleur très qualifié a besoin d’exploiter du capital financier pour valoriser son capital humain. On ne peut plus le priver d’occasions d’apprendre. D’ailleurs, certaines entreprises sont reconnues pour cela : faire ses armes chez elles, c’est comme décrocher un diplôme supplémentaire. »

Florent Noël va encore plus loin : « Je crois qu’une grande partie des entreprises innovantes n’ont pas de stratégie planifiée. Elles saisissent des opportunités. Or qui les crée, ces opportunités ? Ce sont les collaborateurs. Quand le salarié se développe, il développe la capacité d’innover. A chaque fois qu’il apprend quelque chose ou qu’il essaye quelque chose de nouveau, il peut créer une occasion de business pour son entreprise. Et peut-être même qu’il connaît mieux que tout le monde les tendances, les clients, les technologies… Constituer des équipes composées de ce type de profils, leur laisser le champ libre et “récupérer” finalement ne serait-ce que 20 % de leurs projets ne serait pas stupide… Si les entreprises ont besoin que les gens aient des idées, il faut les mettre en capacité d’en avoir. »