Début août 2024, Joséphine Bonnière annonçait avec regret la fin de myodess, un média d'information en ligne d’éducation à la sexualité qu’elle a avait cofondé. « Nous n'avons pas réussi à faire face : trouver des financements. Peut-être aurions-nous dû créer à l’étranger, comme de nombreuses personnes nous l’avaient suggéré, mais nous avons cru en la France et nous pensons qu’il est toujours possible de faire bouger les choses » a-t-elle confié à cette occasion. Un énième faux-pas dans un secteur qui « n’a toujours pas acquis ses lettres de noblesse » selon Christel Bony, la fondatrice et dirigeante de SexTech For Good.

Pourtant le potentiel de marché est évalué à environ 37 milliards de dollars en 2023 avec une hausse de 16,8 % par an de 2024 à 2032. Contrairement à d’autres pays comme les États-Unis ou l’Allemagne, « on voit le potentiel en France mais on n’est pas encore convaincu car il n’y a pas encore de réussites flagrantes » constate Christel Bony qui regrette d’avoir à faire des investisseurs ou décideurs « qui n’ont pas forcément conscience que la sexualité fait partie du bien-être global ». Des motifs d’espoir existent néanmoins comme en témoignent par exemple les levées récentes de Melba et Blyynd.

Cibler des investisseurs privés

L’application de sexting Blyynd, c’est 175.000 téléchargements et 105.000 inscriptions depuis son lancement en janvier 2023 et une présence internationale dans plus de 50 pays. Selon son cofondateur, Cyrille Heimburger, « alors que des boîtes dans d’autres secteurs, à des stades beaucoup moins avancés en termes de revenus et d’usages, réussissent à lever plus facilement », la startup se heurte à de nombreux refus de fonds d’investissement « parce que la sexualité entre selon eux dans des domaines interdits comme la pornographie, la drogue et l’armement ». Quant aux subventions et banques, « c’est quasiment impossible malgré des dossiers costauds ».

Son conseil donc : cibler des investisseurs privés. « Mais comme nous devons multiplier des plus petits tickets, c’est plus de personnes à gérer au conseil d’administration ou dans le pacte d’associés », précise-t-il. Blyynd a alors fait appel à Roundtable, une société facilitant la création d’un Special Purpose Vehicule (SPV), qui permet de réunir un certain nombre d’investisseurs sous une holding qui entrera réellement au capital. Même démarche pour Melba, dont l’objectif « était d’aller chercher des C-level ou des personnes dans des boîtes tech qui vont nous aider sur des sujets purement app, produit ou marketing » explique Lucie Broto, la cofondatrice de cette application d'audios érotiques guidés pour les couples. 300.000 couples y sont déjà inscrits rien que sur la France.

Communiquer avec des pincettes

Autre enjeu majeur : le marketing. « Nous avons beaucoup travaillé pour montrer patte blanche et être whitelisté par les plateformes, mais il n’y a pas de recette magique, ça demande beaucoup de temps, d’apprentissage, de tests, mais aussi trouver les bons contacts qui peuvent nous aider » conseille-t-elle. Ce que confirme Cyrille Heimburger : « nous sommes obligés de faire très attention à tous les termes et les visuels utilisés, d’être le moins explicites possible sur les aspects de sexualité au risque d’être bloqués par les algorithmes voire que le compte soit supprimé ».

D’ailleurs il préconise aussi dans la mesure du possible d’être indépendant des stores Apple et Google. Blyynd a en effet été supprimé de l’App Store en mai dernier sous le motif que « Apple ne peut pas autoriser une société qui se revendique autant sur la sexualité ». La startup travaille donc sur une Web App et un nouveau produit qui sera disponible d’ici fin septembre, « quelque chose de plus léger, moins explicite pour construire un produit stable sur le long terme ».

Bien savoir s’entourer

Malgré toutes ces difficultés, le secteur connaît néanmoins des avancées significatives. « Il y a une vraie prise de conscience du besoin de prendre soin de sa sexualité et du potentiel de marché, à condition de se différencier de la pornographie en se positionnant sur la santé ou le bien-être » recommande Lucie Broto. D’autant que « le sujet est mainstream, puisque 70 % des couples ne sont pas satisfaits de leur sexualité ». Autre aspect de crédibilité : s’entourer d’experts, thérapeutes, sexologues comme l’ont fait Melba et Blyynd, même si « ça aide surtout pour le public car les investisseurs regardent avant tout les metrics » précise Cyrille Heimburger.

Des démarches comme SexTech For Good peuvent aussi permettre de gagner du temps et de l’expérience. « C’est très important, mais je conseillerais aussi en complément de trouver des mentors, qui ne sont pas forcément que dans cet écosystème là, par exemple dans le monde des app ou du B2C » confie Lucie Broto. La force du collectif SexTech For Good est aussi d’avoir plus de poids et d’écho au niveau national. L’association organise d’ailleurs la seconde édition de son festival à Lyon, les 18 et 19 octobre prochains pour sensibiliser et supprimer les tabous.