Vous avez sans doute entendu le terme « FOMO » au détour d’une conversation entre entrepreneurs et investisseurs.
Cet acronyme anglais désigne la « Fear of Missing Out », c’est-à-dire la peur de manquer.

Définition du point de vue de l’investisseur :

Le terme FOMO est souvent utilisé dans le cadre d’une levée de fonds. On entend par là une peur irrationnelle de la part d’un investisseur de passer à côté d’une opportunité unique. De façon caricaturale, ce sentiment d’urgence pour investir dans une société est lié au fait que d’autres investisseurs « renommés » s’intéressent au dossier en question. La perception du potentiel de l’entreprise est dès lors décuplée.

Ainsi commence un jeu de dominos où de plus en plus d’investisseurs se mettent soudainement à étudier une société. Ce comportement, que certains qualifient de « moutonnier », s’observe très souvent quand un fonds anglo-saxon/américain se penche sur une société française.

Définition du point de vue de l’entrepreneur :

Le terme FOMO fait référence à une stratégie qui consiste à créer le sentiment d’urgence chez l’investisseur pour l’inciter à se positionner le plus rapidement possible. Cette tactique permet de gagner du temps, de recevoir davantage d’offres, et souvent d’optimiser les paramètres clés (valorisation, liquidation préférentielle, conseil d’administration, etc.).

En 2022, ce phénomène a connu son paroxysme, ce qui se traduit par des données inédites :
- 13 milliards d’investissements (contre 8 milliards en 2023 dans la French Tech) ;
- Des levées de fonds éclairs (quelques semaines contre environ 6 mois aujourd’hui pour une société en série A) ;
- Des investisseurs américains comme Coatue ou Tiger Global avec des offres très rapides et des valorisations particulièrement élevées.

Une fois ce constat établi se pose la question de la stratégie à avoir pour un entrepreneur qui souhaite lever des fonds :
- Est-il pertinent de créer cette émulation afin de déclencher un effet boule de neige ?
- Faut-il faire une croix sur le fond et privilégier la forme ?
- Est-ce un pari risqué ?

Voici, selon mon expérience, les avantages et les inconvénients d’une telle tactique.

Les avantages :

Cette méthode permet, si elle est bien exécutée, de lever un tour de table en quelques semaines. En effet, si un premier investisseur fait une offre rapidement et que l’entrepreneur utilise intelligemment cette première proposition (entendre ici « termsheet » que l’entrepreneur communique informellement à d’autres investisseurs), de nombreux autres confrères vont se positionner dans la précipitation de peur de manquer cette opportunité. Les termes principaux de la LOI seront sans doute plus favorables (parfois irrationnels), afin de permettre à ces nouveaux protagonistes de gagner le « deal ». Généralement, la valorisation et la taille de la levée de fonds peuvent ainsi augmenter.

Cette stratégie permet à l’investisseur de se positionner plus rapidement : le directeur d’investissement peut se targuer auprès de son comité d’investissement d’analyser un dossier « en cours d’étude chez Séquoia Capital ». Ce seul facteur permet d’éluder des questions de fond (équipe, marché, produit, exit, etc.), et constitue souvent un argument percutant au moment du vote en comité.

Cette tactique permet également à l’entrepreneur de contacter moins de fonds d’investissement. Bien exécutée, la méthode consiste à utiliser des « lièvres », malheureuse expression pour désigner les premiers investisseurs susceptibles de faire une offre très rapidement. Le bruit circulant rapidement, les fonds se chargeront eux-mêmes de contacter l’entrepreneur.

Les inconvénients :

Le portrait ci-dessus n’est pas flatteur, car il laisse l’impression que l’investisseur a un comportement grégaire.

Voici les principaux écueils lorsqu’un entrepreneur se livre à cette stratégie :

La French Tech connaît un marasme économique, les fonds sont plus frileux et reviennent aux fondamentaux – ce n’est un secret pour personne. La première conséquence est un retour à des analyses plus fines (surtout en série A, série B), avec un véritable process de due diligence. Dans ce contexte, les stratégies de FOMO effraient de plus en plus les capital-risqueurs, qui ont des obligations de résultat quant au sérieux de leurs analyses. Les plus beaux fonds de la place ont tous connu récemment des investissements catastrophiques et personne ne peut faire figure d’exception dans notre métier.

Cette stratégie s’apparente à un fusil à un coup : une fois la pression mise, la réaction est binaire. Soit l’investisseur se précipite et met les bouchées doubles pour se plonger rapidement dans le dossier, soit il ne tombe pas dans le « piège » et préfère consacrer son temps sur une opportunité d’investissement qui correspond davantage à ses enjeux de timing. Une fois qu’un fonds dit « non », il est souvent très difficile de faire ré-ouvrir la discussion quelques semaines plus tard.

Cette méthode peut enfin donner lieu à des rétractations tardives : après avoir rédigé et négocié la lettre d’intention, un processus d’audit peut révéler des imprévus, de nouvelles informations qui n’avaient pas été mentionnées lors des premiers échanges. On voit de plus en plus de levées de fonds qui tombent à l’eau au moment des audits, une situation complexe à gérer pour tout le monde.

En définitive, voici un avis subjectif sur cette stratégie subversive :

- Cette méthode fonctionne souvent en seed/pré-seed et doit être utilisée avec parcimonie : il est tout à fait normal de souhaiter créer un sentiment d’urgence dans une négociation. La limite à ne pas franchir est celle de la précipitation, car elle peut se retourner à terme contre l’entrepreneur (mauvais choix de fonds, avortement de la levée, préparation trop faible, etc.) ;

- La meilleure stratégie pour l’entrepreneur est de prévoir un plan B si la levée de fonds ne se produit pas. Elle permet à l’entrepreneur de donner un timing pour tenter de convaincre et de mettre du rythme de façon saine. Lever des fonds n’est pas une nécessité, simplement un moyen d’aller plus vite pour devenir leader de son marché. Cette posture permet un meilleur équilibre : évoquer les sujets de fond tout en proposant un timing raisonnable et maîtrisé par le fondateur.