Nicolas Brien débarque dans l’entrepreneuriat. Après avoir évolué dans des structures accompagnant l’essor de l’écosystème tech en France, notamment chez France Digitale et EuraTechnologies, l’ancien secrétaire fédéral du PS dans l’Allier a décidé à son tour d’enfiler le costume d’entrepreneur. Quelques indices avaient filtré depuis plusieurs mois, puisqu’il avait annoncé à l’automne sur LinkedIn avoir démarré un nouveau projet.

Sur le réseau social professionnel, il avait indiqué se concentrer sur un «stealth-mode project» (projet en mode furtif, ndlr) pour «essayer de résoudre un problème de 2 100 milliards de dollars qui génère 4 % de l’empreinte carbone mondiale». Quelques éléments qui laissaient donc penser à la création d’une greentech, et c’est effectivement le cas. En effet, Nicolas Brien a confirmé à Maddyness qu’il planchait bel et bien sur un projet visant à utiliser l’intelligence artificielle pour réduire l’empreinte carbone engendrée par les déchets. Le volume mondial de ces derniers s’est élevé à 2,3 milliards de tonnes en 2023 et devrait atteindre 3,8 milliards de tonnes à l’horizon 2050, selon les Nations unies. Le défi à relever est donc colossal.

«Ma plus grande responsabilité est d’empêcher le scénario du pire avant 2050»

Si Nicolas Brien lance aujourd’hui un projet pour tenter de résoudre cette problématique majeure, il affirme que sa prise de conscience sur le sujet ne date pas d’hier. «Quand j’étais élu local en Auvergne, à 23 ans, ça me fascinait les budgets à 7 ou 8 chiffres que l’on pouvait mettre dans le traitement et la collecte des déchets. Ça fait donc 15 ans que je sais que nous avons une industrie des déchets qui est cassée, qui ne fonctionne pas. Je me suis toujours dit que le jour où je démarre une startup, ce serait dans ce secteur», explique-t-il. Et d’ajouter : «Je me suis toujours senti entrepreneur, que ce soit en politique, en associatif ou en entreprise.»

Dans son processus menant à la création de sa startup, deux éléments clés ont joué un rôle décisif. «Mon déclic écologique date vraiment de la naissance de mon fils. Pendant longtemps, j’ai cru être au cœur des responsabilités, notamment dans les cabinets ministériels. Mais quand vous tenez votre fils dans les bras, vous vous rendez compte qu’il est possible qu’il vive sur une planète où il ne pourra pas respirer comme vous d’ici le milieu du siècle. Tout d’un coup, le reste apparaît dérisoire. Ma plus grande responsabilité est donc d’empêcher le scénario du pire avant 2050», assure Nicolas Brien.

L’autre facteur décisif, ce fut la lecture d’un roman chinois de science-fiction : «The Waste Tide». Ce dernier évoque la lutte que se livrent des castes de recycleurs sur un île de déchets électroniques. Une œuvre certes fictive, mais inspirée de la décharge de Guiyu en Chine, le plus grand centre de recyclage de déchets électroniques au monde. Dans ce contexte, il semblait évident pour Nicolas Brien de donner à la startup le nom de ce roman. «Ça m’a beaucoup frappé cette histoire. Sauf que ce scénario, ce n’est plus de la science-fiction. Il y a déjà des îles de déchets au large de la Turquie et de l’Indonésie, avec 2 milliards de tonnes de déchets qui nous submergent. Les déchets en Occident ont été invisibilisés», observe l’ex-directeur général de France Digitale. «J’ai échangé avec l’auteur de cet ouvrage (Chen Qiufan, ancien salarié de Google et Baidu, ndlr). Il m’a demandé quel serait mon super-pouvoir si j’en avais un. Je ne sais pas si j’ai un super-pouvoir, mais je me suis dit que j’allais créer une startup pour tenter de faire bouger les choses», ajoute-t-il.

Un modèle B2B pour traiter le problème à la source

Dans cette optique, Nicolas Brien a rassemblé quelques Polytechniciens. «Ils font partie de cette nouvelle génération conscientisée», indique-t-il. Si l’ancien patron de la plus grande association de startups en Europe reste évasif sur la manière dont il compte utiliser l’IA avec son équipe pour résoudre le problème du traitement des déchets, il indique cependant miser sur une approche B2B, en collaborant avec des groupes industriels. L’idée est d’aller directement à la rencontre de ceux qui produisent le plus de déchets, comme les acteurs de la logistique et les supermarchés. «C’est là où l’on peut avoir le maximum d’impact. Pour réduire les coûts et l’empreinte carbone des déchets, il faut le faire à la source», estime Nicolas Brien. Il précise que la société dispose d’ores et déjà d’un produit et de quelques clients.

S’il ne manque pas d’ambition avec Wastetide, le néoentrepreneur est conscient de la difficulté du défi à relever. «L’industrie se caractérise par de très fortes barrières à l’entrée. C’est un marché très monopolistique», note-t-il. Avant d’ajouter : «Le leader mondial du secteur (Veolia, ndlr) génère 15 milliards d’euros de revenus dans ce domaine et 5 milliards d’Ebitda. Ça prouve qu’il est possible d’être rentable dans l’industrie des déchets.»

«Nous devons rapidement faire de l’hypercroissance de solutions frugales au service de la planète»

Pour mettre sur orbite son projet, Nicolas Brien a récolté de la «love money» mais ne prévoit pas de boucler un tour de table dans l’immédiat. «Nous sommes très focalisés sur les revenus», assure-t-il alors que les financements dans la tech sont plus difficiles à décrocher depuis deux ans. «À un moment ou un autre, on devra s’appuyer sur un acteur très fort du capital-risque», ajoute le dirigeant, qui espère que davantage d’entrepreneurs vont s’appuyer sur l’IA pour lancer des projets visant à défendre des causes cruciales pour l’avenir de la planète plutôt que pour l’appât du gain.

«Pourquoi il y a si peu de fondateurs qui lancent des startups d’IA pour adresser les problématiques de l’eau ou des tonnes de déchets qui polluent la planète chaque année ? Ça me rend assez sceptique. Sur les enjeux planétaires qui sont les nôtres, nous n’avons pas le temps. Nous devons rapidement faire de l’hypercroissance de solutions frugales au service de la planète», déclare-t-il. Et de conclure : «J’aimerais qu’on ait plus de fondateurs qui lancent des startups d’IA pour adresser les grands enjeux environnementaux.»

Un projet soutenu par Techstars

En attendant une vague d’IA dans l’écosystème pour développer des solutions destinées à sauver la planète, Nicolas Brien espère contribuer à l’essor de cette dynamique avec son projet. Ce dernier a d’ores et déjà attiré l’attention du célèbre accélérateur américain Techstars, qui a accepté Wastetide au sein de son programme Sustainability. En mode furtif depuis six mois, la société sort peu à peu du bois.

Au-delà de se confronter à la réalité de l’entrepreneuriat et «ses montagnes russes», Nicolas Brien tourne avec ce projet la page liée à son départ mouvementé d’EuraTechnologies en 2022. Si cette affaire a fait couler beaucoup d’encre dans la French Tech, elle n’a pas fait perdre le sens des punchlines à l’ancien patron de France Digitale. «On ne pourra pas construire une solution sur un enjeu environnemental aussi puissant en faisant des offsites à Mykonos», a-t-il notamment lancé durant notre échange. Il lui en faudra d’autres du même acabit pour convaincre les industriels de le suivre dans un projet aussi ambitieux que nécessaire pour la planète.