Le 9 avril 2024, le Centre national du livre (CNL) a rendu public les résultats de son étude « Les jeunes Français et la lecture », confiée à Ipsos. Et les chiffres ont de quoi faire frémir le monde du livre : 1 jeune de 16-19 ans sur 3 ne lit plus du tout dans le cadre de ses loisirs. Ceux qui le font encore y consacrent 19 minutes par jour, soit 4 minutes de moins qu’en 2022, alors que leur temps d’écran est estimé à 3h11 (hors lecture d’un livre numérique ou écoute d’un livre audio). Pire, 48% des lecteurs (69% des lecteurs de 16-19 ans) sont sur leur écran en même temps qu’ils lisent, un chiffre en augmentation de 5 points en un an. 

« Le business de l’attention est devenu ultra-saturé », s’alarme Alexandre Leforestier, le fondateur de Panodissey. Face à ce constat, l’entrepreneur a souhaité créer un réseau social de confiance, dédié aux écritures créatives de fiction et non-fiction. Lancé en décembre 2018, Panodyssey se situe ainsi à mi-chemin entre la plateforme de streaming littéraire et le réseau social. La plateforme met à disposition des auteurs et des lecteurs un espace gratuit et sans publicité, où retrouver une vie numérique calme et utile pour s’informer, s’enrichir, apprendre. « Pour y parvenir, la clé est de ne pas tomber dans le business model des réseaux sociaux, à savoir la publicité, pour ne pas fatiguer l’utilisateur et récupérer son attention. » Sur Panodyssey, l’internaute est le patron de l’algorithme.  

Attirer les investisseurs dans un secteur du livre traditionnellement peu porté sur l’innovation

Guillaume Debaig, le fondateur de Gleeph, parvient au même constat de vacuité des réseaux sociaux dès 2011. Il vit alors au Congo, où il fait une découverte frappante : « J’avais emporté avec moi trois cantines de livres. Il n’y avait pas de librairie à Kinshasa, et le mot s’est vite passé dans la communauté que je disposais d’une belle bibliothèque. Je me suis alors rendu compte du potentiel social incroyable du livre papier. » Avec Gleeph, lancée en 2019, il décide de marier ce potentiel social de la lecture à l’extraordinaire innovation des réseaux sociaux, pour créer un outil qui rapproche les gens de façon intelligente. Ce sont aujourd’hui 50 000 livres qui sont ajoutés chaque jour dans l’application, pour un total de 42 millions de livres enregistrés.

Avec plus de 500 000 lecteurs chez Panodyssey et 750 000 chez Gleeph (où 53% des utilisateurs ont 25 ans et moins) ces modèles de réseaux sociaux littéraires semblent séduire les internautes comme les investisseurs. Panodyssey vient tout juste de lever 5 millions d’euros auprès de business angels du programme Europe Creative Innovation Lab et du programme Digital Europe de la Commission Européenne. « Panodyssey est un projet fondamentalement européen : j’ai voulu proposer une alternative de réseau social autour du texte, en réconciliant l’éthique et le digital, au moment où la Commission cherchait à réguler le Far West numérique et à faire émerger de nouvelles solutions européennes dans le secteur numérique de la culture. » 

De son côté, Gleeph, après avoir levé 3 millions en 2021, vient de conclure un nouveau tour de table auprès de ses investisseurs historiques, soutenue également par Bpifrance, le ministère de la culture et la Banque des Territoires. Les levées de fonds sont pourtant difficiles dans le secteur de la culture, et en particulier dans l’édition. Mais les lignes pourraient être en train de bouger selon Guillaume Debaig : « Le monde du livre change avec l’arrivée d’une nouvelle génération de managers, qui comprend que la donnée consommateur est absolument centrale mais paradoxalement complètement absente du secteur. » 

La data, un levier vers la lecture ? 

L’absence de data autour du livre et de ses habitudes de consommation s’explique par l’éclatement de la donnée dans 25 000 points de vente. La structure même du marché du livre, avec un éditeur qui traite avec un distributeur, qui lui-même traite avec un diffuseur, qui traite ensuite avec le libraire, rend difficile la connaissance du consommateur. Par défaut, l’édition est une industrie de l’offre. C’est là que Gleeph intervient en B2B, en parallèle de son réseau social, avec des outils nouveaux d’IA et la donnée ultra-qualifiée, exploitable par les différents métiers du livre, du libraire à l’éditeur en passant par le marketing. 

« Nous répondons à un besoin majeur, et surtout dans le secteur de la librairie indépendante : le moteur d’IA de Gleeph les aide à faire de la recommandation, à mieux servir leurs clients et à promouvoir leur stock de façon dynamique », poursuit Guillaume Debaig. L’outil, qui se veut l’équivalent de l’algorithme de Spotify pour le livre, est capable de de recommander sans fausse note une sélection de titres pour chaque profil d’utilisateur. Le lectorat est également en train de changer : « Les plus jeunes lecteurs, qui sont donc les lecteurs de demain, sont une génération habituée à une intermédiation culturelle à travers leur téléphone mobile. Le fait de flasher un QR code dans un point de vente pour dire ce qu’on aime et voir ce qui est disponible dans le même genre, est une façon de ramener les gens vers la lecture. » 

L’IA et la recommandation ultra personnalisée pourraient donc incarner le retour vers la lecture et la réconciliation entre réseau social et contenus à valeur ajoutée. « Il faut recréer un espace de confiance et le faire avec les premiers maillons de la chaîne de valeurs, qu’ils soient écrivains auto-édités, médias ou journalistes », conclut Alexandre Leforestier, fondateur de Panodyssey.