Republication du 4 février 2019

Cryptomonnaie, e-paiement, disparition progressive du chèque… comment se positionne la France vis-à-vis de ces nouveaux moyens de paiement ?

La France est un des pays européens où l’on continue d’utiliser le plus d’espèces : nous émettons par exemple près des trois quarts des chèques de l’Union Européenne. Cependant, l’essor de systèmes de paiements toujours plus dématérialisés est significatif. Plus de la moitié des transactions sont aujourd’hui opérées par carte bancaire. Ceci va de pair avec une très forte croissance des paiements par monnaies électroniques ces dernières années, via les moyens de paiement en ligne ou mobile. Le dernier rapport de la Banque de France faisait d’ailleurs état d’une hausse de 47% entre 2015 et 2016, ce qui fait échos à la diversification des modes de consommation permise par l’avènement d’Internet et du e-commerce. Le législateur doit pouvoir adapter la régulation en vigueur, au vu de ce changement des modes de consommation et de paiement. Avec un triple objectif : accompagner l’évolution de la technologie, protéger les consommateurs et convertir les éventuels risques en opportunités. La France a raté le virage d’Internet, mais elle a aujourd’hui les moyens d’être précurseur sur la blockchain et les cryptomonnaies. Le ministre de l’économie s’est engagé publiquement à faire de notre pays un leader mondial du secteur. De premières avancées ont été permises dans le cadre du projet de loi PACTE et du projet de loi de Finances 2019. Deux missions d’information ont aussi été lancées en ce sens à l’Assemblée – dont l’une dont je suis le rapporteur. Parmi les institutions, plusieurs projets sont aussi en cours, comme le LabChain créé au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations ou la proposition de label pour les ICO porté par l’Autorité des Marchés Financiers. Tous les régulateurs doivent à mon sens aujourd’hui entrer dans cette dynamique.

Selon-vous, les Français sont-ils prêts à accueillir et adopter de nouveaux moyens de paiement dans leur quotidien ?

Aujourd’hui, les français expriment deux besoins : premièrement, pouvoir bénéficier de moyens de paiement pratiques et simples d’usages ; et deuxièmement, avoir davantage de confiance et de transparence dans les transactions financières. La crise des subprimes de 2008 témoigne du fait que notre modèle financier est à bout de souffle et que certaines dérives, mettant en péril toute l’économie mondiale, ne peuvent plus durer. C’est dans ce contexte que bitcoin a été créé. Une monnaie numérique pourrait être la solution. Cependant, nous constatons aussi qu’une trop grande partie de la population n’a pas accès aux nouvelles technologies. De nombreux territoires sont par exemple toujours répertoriés comme zones blanches. L’accès à Internet y reste très difficile. Tous les français ne disposent par ailleurs pas du niveau de formation et d’information nécessaire pour un usage aisé et sans risques. Ceci limite d’autant l’expansion de nouveaux moyens de paiement dématérialisés et décentralisés. Si on veut favoriser l’émergence de ces nouveaux outils, il me semble donc essentiel de permettre un meilleur accompagnement des consommateurs par les institutions et des acteurs de l’écosystème. Ceci permettra d’une part de réduire la fracture numérique et, d’autre part, de renforcer l’information des utilisateurs. À mon sens, on doit anticiper une potentielle fin des échanges en cash pour 2030.

Pensez-vous que l'Hexagone soit en retard sur le sujet, face à certains autres pays européens ? Pourquoi ?

Les Français restent très attachés aux paiements en espèces, même si les paiements dématérialisés
progressent. Certains pays européens sont bien plus avancés que nous dans le déploiement de monnaies électroniques d’État. Si je m’attache là encore spécifiquement aux crypto-actifs, des pays comme la Suède étudient de près l’éventualité d’émettre une crypto-monnaie d’État. Ceci répond à des problématiques d’effondrement des paiements en cash, bien plus marqué que ce que l’on peut constater en France. Là-bas, il n’est parfois même plus possible de payer en liquide dans certains commerces. Plusieurs pays ont entamé une course afin d’attirer les futurs géants du secteur sur leur territoire. En France, nous pouvons aussi dénombrer de nombreux projets innovants, mais les contraintes fiscales et réglementaires poussent un grand nombre d’entre eux à partir à l’étranger. Cependant, sans acteur économique, aucun écosystème ne pourra se développer.

Comment rattraper notre retard pour nous positionner, à terme, parmi les meilleurs ?

La France peut encore rattraper son retard, mais cela nécessitera un soutien politique fort. Jusqu’ici, le réflexe premier a presque toujours été de légiférer afin de circonscrire les risques liés à l’émergence d’une nouvelle technologie. Nous nous sommes ainsi toujours positionnés dans une logique de rattrapage technologique plutôt que d’innovation. Schumpeter avait théorisé le concept de grappes d’innovation. Cette philosophie doit à mon avis nous guider afin de véritablement changer de paradigme. Il s’agira alors de légiférer pour lever les freins au développement de la technologie et convertir les risques en opportunités. C’est l’approche que j’ai employée dans le cadre de ma mission d’information. Parmi les recommandations – dont une partie ont pu aboutir dans le cadre du projet de loi PACTE et du PLF 2019 – nous appelions avec mes collègues parlementaires aussi engagés sur le sujet à proposer un cadre innovant en France. C’est tout l’enjeu du label inédit pour les ICO et pour les intermédiaires, ainsi que des premières évolutions fiscales, qui pourraient ensuite être généralisés au niveau européen. Car, s’il est important d’avoir un cadre attractif en France, c’est à l’échelle européenne que nous devons aussi agir. Face à l’extraterritorialité de la blockchain, l’unique échelle afin d’exercer notre souveraineté est européenne.

Que pouvons-nous attendre de l'État dans la course à l'adoption et au déploiement des nouveaux moyens de paiement ?

Ce que l’on doit attendre de l’État, c’est qu’il prenne la mesure des enjeux. Qu’il soit en capacité d’anticiper l’innovation et de préparer l’avenir, en veillant à un égal accès des citoyens aux modalités de paiement. Aujourd’hui, un grand débat persiste sur la définition juridique des crypto-actifs et dont leur potentiel usage comme monnaie légale. De premières transactions, dans l’économie réelle, sont toutefois permises. C’est le cas dans quelques restaurants et depuis le premier janvier 2019, il est dorénavant possible d’acheter des coupons de 50, 100 ou 250€ convertibles en bitcoin ou éthereum. Cependant, nous devons aller plus loin. J’évoquais le cas de la Suède, mais l’Estonie, Malte et le Royaume Uni sont aussi à l’avant-garde. La création d’une monnaie d’Etat décentralisée doit à mon sens être plus finement étudié, avec une mission parlementaire dédiée et la proposition de premiers scénarios d’ici deux ans. Les entreprises du secteur qui travaillent sur ce sujet doivent aussi être accompagnées. C’est l’objectif du fond pour les innovations de rupture, sur le modèle de celui lancé pour l’IA par le Président de la République, que nous devons déployer. La commande publique doit également être un levier. Faute de quoi, nous nous retrouverons en queue de peloton.

Selon vous, quel sera le moyen de paiement le plus répandu en 2084 ?

La technologie évolue de plus en plus vite et les cycles d’innovations sont de plus en plus cours. Je dirais donc qu’il n’existe pas encore, ou en tout cas pas sous la forme que l’on connaitra en 2084.

Au cours des discussions sur des sujets innovants, rencontrez-vous un choc générationnel à l’Assemblée ?

Ma génération a grandi avec l’ère numérique. Par conséquent, je suis peut-être plus sensible à ce type d’évolutions que certains collègues. Quand j’ai lancé ma mission sur les cryptommonnaies, certains commissaires de la commission des finances me parlaient des bitcoins que leurs enfants leur avaient offerts à Noël, entre curiosité et scepticisme. Cependant, je pense que c’est aussi une question d’attrait personnel pour l’innovation.

Être un " geek " en politique, c'est un atout aujourd’hui ?

Le numérique est déjà en train de totalement disrupter notre modèle économique, nos échanges et notre organisation sociétale. Il est donc indéniable qu’être aguerri sur le sujet facilite la compréhension des enjeux et des opportunités qui y sont liés. Sur les cryptomonnaies et la blockchain par exemple, le fait d’en avoir déjà achetés, d’avoir pu tester plusieurs plateformes, d’avoir été confronté aux difficultés de conversion en monnaie fiat ou de déclaration de mes transactions, m’a permis de mieux appréhender ces problématiques. Mais le numérique est aussi porteur d’une autre promesse : celle de faire vivre la démocratie, le débat public et de refonder le lien citoyens/institutions d’une autre manière. La dématérialisation de certains services publics, la création d’une identité numérique, le vote en ligne… sont autant de perspectives à creuser, et que le régulateur doit impulser ! Donc si être un " geek politique " est aujourd’hui un atout, ce devra demain être un prérequis.